Dans ce qui suit, j’aimerais replacer le ministère pastoral dans sa dimension et son caractère théologique. Si cela peut faire débat dans le corps pastoral, il me semble essentiel de rappeler que le pasteur est bel et bien, de fait, un théologien et qu’il ne saurait faire fi de la théologie dans son ministère. Plus encore, il a besoin de la théologie pour comprendre sa propre fonction pastorale, car, qu’il le veuille ou non et qu’il s’en rende compte ou non, son ministère est théologique. Ce sont ces notions que j’aimerais étayer dans un premier temps. Dans un second temps, j’argumenterai en faveur de la formation théologique continue des pasteurs, en proposant quelques pistes pratiques afin de se tenir au fait et demeurer alerte et compétent dans le domaine théologique.
A. La dimension théologique du ministère pastoral
1. La tendance à se distancier de la figure du théologien
« Moi, je ne suis pas théologien ! ». Il m’est arrivé plusieurs fois d’entendre cette phrase dans la bouche de collègues pasteurs. Évidemment, je pense comprendre ce que cela signifiait pour eux. Pourtant, avec le recul, je ne peux me résoudre à penser que ce type de positionnement est juste, adapté et vrai. En effet, que veulent dire ceux qui, parmi les pasteurs, se déclarent « non-théologiens » ? Je distingue au moins deux motivations :
a. Probablement qu’ils sont avant tout « pasteurs de terrain », des bergers prenant soin de leur troupeau, mettant les mains dans le cambouis. Leur souci, c’est de bien accompagner les tracas, les combats spirituels et autres questionnements intérieurs des membres de leur Église. En bref, ils se présentent comme « non-théologiens » parce qu’ils n’ont ni le temps ni l’énergie pour l’étude ou la recherche théologique – ou pour la recherche exégétique poussée des passages bibliques sur lesquels ils prêchent ou apportent une étude biblique. Il peut leur arriver de lire des ouvrages théologiques plus ou moins académiques, ou tout simplement de réfléchir aux implications de telle ou telle doctrine ou passage biblique, mais là n’est pas leur passion. Là n’est pas non plus leur compétence première. Eux aiment tout simplement aller au contact des gens, œuvrer davantage dans le domaine de l’évangélisation que dans celui de l’enseignement, par exemple.
b. De plus, si certains se présentent comme non-théologiens, c’est aussi probablement pour se distancier d’une certaine image du théologien : le théologien « de métier » (essentiellement les professeurs de facultés ou d’instituts bibliques), auquel ils ne veulent pas être identifiés. Certains peuvent avoir en tête telle ou telle figure tutélaire de professeur de théologie qui leur a tant appris et qu’ils respectent énormément. Face à ce géant théologique, ils ne font pas le poids. La référence est de toute manière inatteignable et ils ne voudraient surtout pas donner l’impression inverse. Évidemment, le ministère de pasteur(1) n’est pas le même que celui de professeur de théologie. Ce dernier se trouve en germe dans le monde du Nouveau Testament. On y rencontre, outre les apôtres, des femmes et des hommes indépendants de la structure locale, spécialisés dans un rôle qu’ils remplissent au bénéfice de plusieurs Églises, en ne restant dans l’une ou l’autre que temporairement (on pense à Priscille et Aquila, Apollos, l’auteur de l’Épître aux Hébreux, peut-être Barnabas, etc.). Alors qu’il y avait des faux-docteurs qui répandaient le mensonge d’Églises en Églises, il y avait aussi des « bons docteurs » qui affermissaient et enseignaient les Églises locales dans un ministère itinérant. Et petit à petit dans l’histoire de l’Église, ce rôle d’enseignant et de docteur de l’Église a pris de l’ampleur, se spécialisant toujours davantage, avec par exemple l’émergence de facultés de théologie pendant le Moyen-Âge, en vue de la formation des pasteurs(2).
Loin de moi le désir de critiquer ces collègues pasteurs et/ou leur ministère. Ceux-ci sont, jusqu’à preuve du contraire, fidèles à leur appel et ils y répondent en mettant en œuvre leurs charismes spécifiques. Cela dit, je ne peux m’empêcher de trouver cette distanciation avec le terme de « théologien » troublante et plutôt mal à propos.
2. Accepter qu’un pasteur soit théologien
Qu’il le veuille ou non, un pasteur est un théologien – et il lui faut accepter cette réalité, l’accueillir et donc aussi la nourrir. Non seulement il est théologien, mais il faut aussi qu’il le soit. Cette dimension théologique fondamentale ne doit jamais être mise sous le boisseau. Il me paraît essentiel d’insister sur le fait que le ministère pastoral ne peut se passer de théologie, car l’Église ne peut se passer de théologie. Ainsi, pour l’exprimer de manière quelque peu abrupte, voire provocatrice, je crois sincèrement qu’un pasteur qui n’est pas théologien est un danger pour son Église. Pasteur et théologien sont des termes qui doivent aller ensemble, être collés l’un à l’autre. Ce sont des termes que Dieu a unis : que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni ! Mais qu’est-ce qui me permet de l’affirmer ?
C’est avant tout la liste de ministères en Éphésiens 4, où l’expression « les bergers et maîtres » (tou poimena kai daskalou) est utilisée au v. 11. La règle en grec est que les deux termes soient appariés puisqu’il n’y a qu’un seul article (tou) devant eux. Ce n’est pas « les bergers et les maîtres », mais « les bergers-et-maîtres(3) ». Pour Paul comme pour l’Église ancienne, il semble donc bien qu’un berger/pasteur soit aussi un maître, c’est-à-dire un enseignant. Dans la communauté chrétienne locale, la responsabilité de l’enseignement est celle du pasteur, du berger. Ceci signifie que les pasteurs sont a minima les premiers théologiens/maîtres de leur Église ! À travers leur ministère, ils pourvoient au leadership théologique dans l’Église locale, qui compte sur eux pour toujours mieux penser la foi et pour grandir dans la foi. Le Nouveau Testament va clairement dans ce sens.
Mais que revêt cette fonction théologique ? Je perçois deux aspects :
a. Premièrement, les pasteurs sont les garants de ...