La doctrine de l’Église et des sacrements (tome 2)

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Blocher La doctrine de l’Église et des sacrements (tome 2) Henri Blocher
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Collection Didaskalia, Édifac, 2024, 368 p., 26 €.

L’ouvrage dont il est question ici est le tome 2 de La doctrine de l’Église et des sacrements d’Henri Blocher. Dans le tome 1(1), l’auteur déployait le dossier biblique (partie 1) pour toute l’ecclésiologie qu’il aborde ensuite, y compris donc pour les thèmes traités dans ce tome 2, puis présentait, analysait et critiquait les trois modèles ecclésiologiques principaux : catholique, réformé, et professant (qu’il préconise).

L’auteur s’attelle dans ce tome 2 à la deuxième partie de son titre : la doctrine des sacrements (partie 3), et y ajoute un chapitre, qui a « quelque peu le statut d’un “appendice”(2) », sur la théologie des ministères (partie 4, une centaine de pages, tout de même !).

Notez que l’introduction de ce tome 2 n’a malheureusement pas été imprimée… Elle est toutefois disponible au téléchargement sur le site d’Excelsis, sur la page consacrée à cet ouvrage(3). Il sera utile d’aller lire ce texte de douze pages, qui définit le terme de « sacrement » et justifie son emploi pour le baptême et la cène, et explique ainsi le traitement conjoint de ces deux rites.

Après l’introduction, Blocher présente les sacramentologies catholique, réformée, puis « baptistique » (ou de la « tierce conception(4) »). Il en explicite les contours, rend compte des arguments avancés et des appuis bibliques, puis y porte un regard critique. On peut souligner et saluer deux éléments essentiels qui manquent souvent au regard évangélique sur la sacramentologie catholique en particulier : une analyse approfondie de la manière de comprendre le baptême et la cène par les théologiens catholiques et réformés, et une prise en compte de la diversité interne de chacune des options. Les positions « adverses » ne sont pas caricaturées ni considérées comme des blocs monolithiques.

L’auteur écrit d’ailleurs : « Nous déplorons que la polémique protestante n’ait pas assez tenu compte, dans le passé, de la subtilité catholique, comme d’une réelle diversité interne. Les controversistes ont souvent manqué leur cible, car ils ont attaqué trop vite le “magisme”, ignorant certains éléments de la théologie de leurs adversaires(5). »

Ce qui ne l’empêche pas de critiquer vivement la causalité sacramentelle catholique (le fait que le sacrement cause la grâce qu’il signifie), tout en reconnaissant que certains auteurs contemporains ont cherché à s’en éloigner, sans l’abandonner totalement.
Pour la conception réformée, Blocher pointe surtout ses ambiguïtés : le manque de distinction des sacrements avec la prédication, le manque de distinction entre les deux alliances (qui aboutit à la continuité circoncision-baptême notamment), le manque de distinction enfin entre l’œuvre humaine et l’œuvre divine, malgré un refus net du sacramentalisme catholique.
L’auteur plaide alors pour la définition suivante du sacrement (conception « baptistique ») :

« Rites institués par le Seigneur, et commandés aux disciples pour qu’ils y expriment et confessent leur foi et qu’ils indiquent et représentent simultanément le contenu de la promesse, qu’ils reçoivent par la foi(6). »

Le sacrement est alors une œuvre humaine : ceux qui ont été régénérés par l’Esprit y confessent leur foi et s’engagent envers Dieu. La distinction avec la prédication est précisée : par cette dernière, les chrétiens sont les destinataires ; par les sacrements, ils sont prédicateurs(7). Dans le deuxième cas, ce sont eux qui proclament publiquement la foi qu’ils ont reçue. Les sacrements mettent ainsi en lumière que l’Église n’est pas seulement « l’institution qui prêche », mais « la communauté, la société de ceux qui sont à Jésus-Christ et qui sont liés les uns aux autres(8) ».

Sans que Blocher n’en tire explicitement cette conséquence, il semble que la compréhension des sacrements comme symboles aille aussi dans le sens d’une distinction avec la prédication. Pour lui, les sacrements sont à la fois signes – ils indiquent le contenu de la promesse –, et symboles – ils représentent le contenu de la promesse(9). Si la prédication est signe elle aussi, elle n’est pas symbole de ce qu’elle indique (elle ne représente pas la réalité signifiée).

De manière ironique, mais heureuse, la conception symbolique défendue ici nous semble écarter l’accusation de « pur symbolisme » souvent faite à la conception professante des sacrements. Si la conception défendue par l’auteur distingue radicalement le symbole de la réalité signifiée (ce que peine à faire la conception sacramentaliste), elle implique toutefois une « sorte de présence (substitutive) » de la réalité signifiée par le symbole. L’illustration du billet de banque aide à comprendre :

« Ce symbole n’est que du papier (et dans certaines circonstances dramatiques, il n’est plus que cela), mais, dans la vie courante, il vaut de l’argent (symbolisé par convention), il en a l’efficacité. Sans aucun sacramentalisme, il est possible de reconnaître cette présence-par-le-suppléant aux éléments sacramentels(10) ».

Plus loin, à propos de la cène, l’auteur s’éloigne encore d’une conception purement « symbolique » des sacrements, en soulignant que leur caractère corporel « permet d’éprouver d’une façon privilégiée [la] présence spirituelle [du Seigneur] pour la foi ». Par le sacrement en effet, « l’être humain, intérieur et extérieur, […] connaît une sorte d’unification, qui annonce et promet l’unification parfaite, quand le Seigneur présent en son corps de gloire fera bénéficier notre corps aussi de la rédemption(11) ».

Après ce chapitre général sur les sacrements, l’auteur consacre un chapitre plus particulier au baptême (chapitre 6), dans lequel il consacre une sous-partie au dialogue avec le pédobaptisme (essentiellement réformé), puis deux chapitres sur la cène (chapitres 7 et 8). Le premier est d’ordre général, le deuxième entre en dialogue avec la doctrine catholique, en particulier sur la présence réelle du Seigneur dans les éléments, et sur le caractère sacrificiel du sacrement. Ici comme ailleurs, l’auteur plonge avec rigueur dans les sources primaires, en particulier chez les Pères de l’Église (qui a dit que les évangéliques ne s’y intéressaient que trop peu ?).

Enfin, l’auteur termine par un chapitre (la partie 4) sur les ministères. Il y est question de la mission de l’Église, que l’auteur résume par quatre verbes : être, devenir, dire et faire ; de l’articulation entre le ministère de tous et le ministère de quelques-uns (l’auteur plaide plutôt en faveur d’un conseil d’anciens, avec un ou plusieurs pasteurs, distincts des diacres(12)) ; et de l’accès des femmes aux ministères structurels. L’auteur y reprend des thèses qu’il avait développées ailleurs. Il défend une position qu’on pourrait dire conservatrice ouverte. Afin de rendre compte des « données apparemment antagonistes(13) » sur le sujet, il défend l’idée d’un ordre créationnel, que Dieu peut lui-même contourner à titre extraordinaire (cela implique-t-il ou non que ce soit à titre exceptionnel également, ce n’est pas clair). Sur ce fondement (assez original), il affirme que les femmes peuvent être prédicatrices et diacres à titre ordinaire, et pasteurs-docteurs à titre extraordinaire (il cite l’exemple néotestamentaire de Priscille, mentionnée avant son mari en Actes 18.26). Que l’on soit d’accord ou non, les données et les conclusions auxquelles elles font aboutir l’auteur sont exposées avec finesse, prudence et respect, ce qui est exemplaire sur un sujet si clivant.

Pour terminer, ce deuxième tome de La doctrine de l’Église et des sacrements est un livre incontournable pour quiconque veut creuser les questions ecclésiologiques, souvent laissées de côté en milieu évangélique. Le livre est assez technique, mais, comme pour le premier tome, les passages les plus pointus (et les moins essentiels au propos) sont en plus petits caractères. Le lecteur plus pressé, ou moins habitué à ces discussions théologiques, pourra les sauter sans perdre le fil argumentatif de l’auteur. À lire par le plus grand nombre donc, pour un approfondissement de la théologie et de la pratique des sacrements !

Auteurs
Thomas POËTTE

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1.
Voir notre recension dans le CEP n° 128, 2023, pp.101ss.
2.
Henri BLOCHER, La doctrine de l’Église et des sacrements, t. 2, Vaux-sur-Seine, Édifac, Didaskalia, 2024, p.245.
3.
Le document à télécharger s’intitule « Errata : Pour introduire à la troisième partie ». Il est accessible directement à l’adresse https://www.xl6.com/articles/errata/9782904407871.pdf, consulté le 11 novembre 2024.
4.
La reprise du terme « professant », utilisé dans le tome 1 pour l’ecclésiologie fondamentale, n’aurait-elle pas été plus simple ? L’auteur évite peut-être ce terme à cause de la conception de la cène qui est, selon lui, partagée par les réformés et les professants. Voir Henri BLOCHER, La doctrine de l’Église et des sacrements, t. 2, op. cit., pp.145-146.
5.
Ibid., p.26.
6.
Ibid., p.84.
7.
Ibid., pp.87-88.
8.
Ibid., p.92, n°192.
9.
Ibid., pp.75-79.
10.
Ibid., p.79.
11.
Ibid., pp.218-219.
12.
Ibid., p.283.
13.
Ibid., p.341.

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