De génération en génération : le système familial dans l'église et la synagogue

Extrait Psychologie et vie chrétienne

"Generation to Generation : Family Process in Church and Synagogue"

Par Edwin Friedman 1985 Guilford Press

Edwin Friedman est rabbin et thérapeute familial avec 30 années d'expérience à Washington, D.C. Son ouvrage publié en 1985 est devenu une œuvre de référence aux États-Unis pour comprendre l'articulation entre les processus émotionnels de la famille et ceux de l'église. Partant de la théorie systémique de Murray Bowen, Friedman explique le fonctionnement émotionnel des familles (et des Églises) qui suscite des problèmes, que ceux-ci prennent la forme de conflits, de symptômes physiques, psychologiques, ou comportementaux. Il explique aussi comment le responsable d'un groupe (famille ou Église) peut utiliser les pressions qui pèsent sur lui dans son rôle de leader pour aider le groupe à changer et à évoluer vers la maturité. Et il décrit les avantages uniques qu'ont les membres du clergé pour favoriser la guérison et la croissance spirituelle des familles qu'ils côtoient.

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De génération en génération : le système familial dans l'église et la synagogue

INTRODUCTION

L'auteur met l'accent sur l'importance du fonctionnement du responsable, c'est-à-dire de la manière dont il remplit son ministère, plutôt que sur ses activités. Au lieu de devenir expert dans plusieurs sortes de domaines de la relation d'aide (alcoolisme, abus sexuels, familles recomposées, phobies, etc.), le pasteur a surtout besoin de définir ses propres convictions, valeurs et responsabilités, et de maintenir une "présence non-anxieuse" dans le système. Cela encourage les autres à se calmer, à réfléchir, et à prendre leurs propres responsabilités dans les situations problématiques. Et à nous évangéliques d'ajouter, cette présence non-anxieuse est le témoin d'une foi qui inspire la confiance de nos membres.

LES CONCEPTS CLÉS DE L'ANALYSE SYSTÉMIQUE

Friedman commence son livre par une présentation de la théorie systémique, et montre comment une analyse systémique est différente de l'analyse linéaire (basée sur la relation de cause à effet) qui nous est plus familière. Il énumère cinq concepts de base de la théorie systémique de Bowen :

1) le "patient désigné"

C'est le membre de la famille (église, ou autre groupe) qui développe un symptôme, que ce soit une dépression, une performance inadéquate, ou une maladie physique, bref, un problème quelconque. Seulement, le symptôme n'est pas causé par des caractéristiques de l'individu ; c'est une adaptation (inconsciente) qui exprime le stress que subit toute la famille et qui sert à le canaliser, aux dépens de l'individu.

Par exemple : une mère de famille développe un cancer du sein et sa famille craint pour sa survie. Mais dans cette famille, on ne peut pas discuter ouvertement de la mort. Un des enfants, auparavant sans histoires, commence à se droguer et à faire des fugues. Toute la famille se mobilise autour des problèmes de cet enfant, et la mère se dit qu'elle ne peut pas mourir parce qu'il a trop besoin d'elle. Une fois qu'elle est hors de danger, le jeune homme n'a plus de problèmes.

Pendant ce congé, toute la famille était d'accord que c'était le fils qui "allait mal", y compris le fils lui-même. Personne ne faisait de rapprochement entre les événements. Mais le comportement du fils servait à détourner l'anxiété de la famille du cancer de la mère.

2) l’homéostasie

Il s'agit de l'interaction équilibrée du groupe, une auto-organisation qui lui donne une stabilité et une identité, mais qui résiste aussi au changement, même quand l'équilibre présent est douloureux. Le rôle et le comportement de chacun ne peuvent être compris séparément, mais seulement à travers leur manière de contribuer à la stabilité du groupe.

Par exemple : un homme qui était veuf, venait de se remarier. Sa nouvelle femme n'approuvait pas son laisser-aller avec ses deux filles, qui avaient toutes les deux des difficultés scolaires mais qui étaient autorisées à regarder la télévision tard le soir, sans avoir fait leurs devoirs. Elle essayait de son mieux d'être une mère responsable pour ces enfants qui n'étaient pas les siens. Le mariage ne dura qu'un an. La femme avait perturbé l'homéostasie de la famille en essayant de changer les relations qui étaient déjà en place. Le système répliqua en la mettant dehors.

Un deuxième exemple : un pasteur revint dans son église après une période sabbatique avec une énergie renouvelée et une vision pour l'évangélisation. Son conseil reçut ses idées avec tiédeur, lui faisant remarquer que l'église avait souffert de son absence et qu'il avait besoin de consolider l'Église en passant plus de temps dans des visites personnelles. Le pasteur continua à insister pendant plusieurs mois sur la nécessité de faire plus d'évangélisation, tout en essayant de satisfaire les demandes de son conseil. Il finit par abandonner ses projets dans la frustration.

L'homéostasie est la résistance d'un système au changement, que ce changement vienne d'un de ses membres ou de l'extérieur ; et cette résistance est présente même quand le groupe souffre et demande de l'aide pour changer. Elle a tout l'air d'un sabotage, mais tout se passe à un niveau inconscient.

3) la différenciation du soi

Ce concept aide à saisir dans quelle mesure les membres d'un système réagissent les uns aux autres de façon automatique, ou inversement, dans quelle mesure ils sont capables de moduler leurs réactions par une réflexion basée sur leurs propres valeurs et convictions, et ainsi d'agir de façon plus indépendante.

Exemple : une femme divorcée commençait à "sortir" avec un homme qu'elle appréciait, mais sa fille de quatre ans faisait une scène chaque fois que sa mère s'apprêtait à sortir. La maman essayait de la raisonner, expliquant que son ami était vraiment très gentil, et cherchait des occasions pour qu'il passe du temps avec sa fille pour faire connaissance, mais sans résultat. Sa fille réagissant toujours de la même manière, la maman avait annulé plusieurs sorties. Elle se sentait bloquée et prisonnière des caprices de sa fille.

Son erreur était qu'elle voulait non seulement pouvoir "sortir" avec cet homme, mais aussi que sa fille en soit contente. La fille commença à se calmer quand sa mère apprit à lui dire : "je sais que tu n'aimes pas mon ami, et tu n'es pas obligée de l'aimer. Mais c'est à moi de décider si je veux sortir avec lui, et pas à toi." La mère fixait des limites au comportement de sa fille, mais cessait d'essayer de la changer elle avait clarifié ses responsabilités, qui étaient ses propres émotions et actions, et pas celles de sa fille. Les scènes s'arrêtèrent avec le temps, et l'enfant devint moins hostile envers l'ami. La mère a fait un pas vers la différenciation d'avec sa fille.

Nous avons tendance à penser que nos proches devraient être d'accord avec nous, croire comme nous, et prendre notre parti quand nous sommes en colère ou abattus, et nous réagissons de même avec eux. Nous pouvons être liés comme par des cordons invisibles, si bien que l'anxiété de l'un se transmet à l'autre, et qu'un individu au sein d'un groupe trouve difficile d'articuler ses propres convictions ou préférences si elles sont différentes de celles du groupe. Certains groupes imposent à leurs membres une pression plus forte que d'autres pour qu'ils soient conformes à un modèle (ainsi cette mère qui pensait que sa fille devrait aimer son ami parce qu'elle-même l'aimait). Les membres de ces groupes (familles, églises) mal différenciés, ont un niveau d'anxiété inconsciente plus élevé que d'autres. Ils ont tendance soit à adorer, soit à critiquer leurs responsables, alors que des individus mieux différenciés auront sur ceux-ci un regard plus objectif. Tout progrès vers la différenciation de soi est un progrès vers la maturité émotionnelle (et spirituelle).

4) le système de la famille étendue

Tout le réseau de relations familiales est considéré comme important pour la compréhension d'un symptôme. Une meilleure compréhension du fonctionnement de notre famille d'origine peut être nécessaire pour démêler un problème avec un époux, un enfant, un collègue ou une congrégation. Certains sujets difficiles à aborder, voire interdits, peuvent nous être légués par notre famille d'origine, et fausser à notre insu nos relations dans le présent. Il peut également y avoir des concours de circonstances qui évoquent (consciemment ou inconsciemment) des événements angoissants du passé.

Par exemple : un couple connaît des conflits intenses, sans raison apparente depuis la naissance de leur deuxième enfant, un garçon. En examinant l'histoire de leurs familles respectives, ils apprennent que les parents du mari ont divorcé peu après la naissance de leur deuxième enfant, le petit frère du mari. La femme, elle, a un frère (le deuxième enfant), qui est né handicapé, ce qui a bouleversé la vie de ses parents. Il n'est pas étonnant que la naissance d'un deuxième petit garçon leur rappelle de mauvais souvenirs et crée de l'anxiété, même si, ni le mari ni la femme n'avaient consciemment fait le rapport.

Il faut souvent élargir le champ de vision pour comprendre le sens d'un problème. Notre passé n'est pas fini, même si nous habitons loin de notre famille ; il dort et n'attend qu'à être réveillé. En apprendre plus sur notre famille d'origine, en remontant deux ou trois générations, peut être très utile pour comprendre les pressions qui pèsent sur nous.

5) le triangle émotionnel

Ce concept, l'apanage de la théorie "Bowénienne", explique comment une personne peut se trouver impliquée dans une relation, un conflit ou un problème qui n'est pas de son ressort. C'est une tendance universelle des relations entre deux personnes que d'en coopter une troisième dès que la relation connaît un stress ou un conflit. Soit, l'un des deux partenaires invitera une troisième personne à prendre son parti, soit le troisième prendra lui-même l'initiative d'intervenir pour tenter de calmer le jeu. Non seulement cet effort est vain, mais il produit l'effet contraire. Il détourne la tension qui autrement motiverait les deux autres à chercher une résolution, et, qui plus est, le triangle (à cause de la tension) fait peser le stress de la relation sur la personne qui essaie d'être le médiateur !

Exemple : Une femme a l'habitude de faire le "tampon" entre son mari et son fils de 14 ans. Elle trouve son mari souvent trop sévère envers lui, et aimerait qu'ils aient une meilleure relation. Son fils lui confie la peine qu'il a de se sentir aliéné de son père, et elle l'encourage à en parler à celui-ci, mais il ne trouve jamais le courage de le faire. La relation entre mari et femme est assez calme, excepté dans ce domaine où elle lui reproche sa manière dure et ses exigences.

Plus tard, elle assiste à un séminaire où l'on explique le fonctionnement des triangles. A la prochaine dispute entre son mari et son fils, elle se tait. Son fils va pleurer ostensiblement dans sa chambre ; mais au lieu d'aller le consoler comme auparavant, elle ne fait rien. Elle se couche ce soir-là comme d'habitude, et son mari fait de même. Mais une heure plus tard, il n'a pas trouvé le sommeil ; il va aller parler à son fils (qui ne dort pas non plus), et les deux auront des rapports bien meilleurs qu'auparavant.

La mère s'était impliquée pour essayer de calmer le conflit entre père et fils — elle était ainsi devenue la troisième personne dans une relation qui ne lui appartenait pas. En le faisant, elle avait fait l'inverse de ce qu'elle souhaitait : plus elle essayait de rapprocher les deux, plus ils restaient distants l'un de l'autre. Il est toujours plus facile de parler à une tierce personne que de parler à la personne avec qui nous avons un conflit — mais cela avait créé une sorte d'alliance entre mère et fils, en laissant le père à l'extérieur : dans un triangle, deux personnes consolident leur relation aux dépens de la troisième. Quand le père et le fils n'ont plus eu personne à qui parler de leur conflit, la tension les a poussés à se parler l'un à l'autre.

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Auteurs
Jeanne FARMER

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