L’islam, tout comme le christianisme, a connu des divergences en son sein qui ont conduit à de multiples divisions. La division la plus importante est survenue au lendemain de la mort du prophète. Elle a entraîné la formation de deux courants importants : le sunnisme et le chiisme.
À la mort de Mohamed*, en l’an 11/632, la question de sa succession est posée : pour la grande majorité des musulmans, le prophète n’a pas désigné son successeur et il faut lui en trouver un. Pour y parvenir, un conseil est mis en place en ayant recours aux méthodes ancestrales. Il est formé de quelques compagnons proches de Mohamed* et des personnalités influentes des plus puissants clans des tribus mekkoises. C’est ainsi qu’Abû Bakr est élu premier successeur de Mohamed* en 632. Il exercera son califat jusqu’à 634, ensuite ‘Umar Abû Hafsa, deuxième calife* (califat : 634-644), ‘Uthmân troisième calife* (califat : 644-656), et ‘Alî quatrième calife* (califat : 656-661). Mais pour une minorité de musulmans, ‘Alî (cousin et gendre du prophète) a été clairement désigné par le prophète pour être son successeur (le 16 mars 632), peu avant sa mort près de Ghadîr Khumm (entre La Mecque et Médine).
Le sunnisme
Les sunnites représentent 75% à 80% des musulmans dans le monde. Ils se réclament des quatre premiers califes*, considérés comme les successeurs légitimes de Mohamed*, et se prétendent orthodoxes suivant « le bon chemin » (c’est le sens de sunna* en arabe) laissé par le prophète.
Depuis le 13ème siècle, quatre écoles sont reconnues comme canoniques par l'ensemble de la communauté sunnite :
L’école hanafite
Elle doit son nom à Abou Hanîfa Annu'mân (699-767), théologien et législateur iranien qui a vécu à Kofa en Irak. Considéré comme le théoricien du jugement individuel, il faisait intervenir l'opinion personnelle dans le raisonnement juridique, permettant des arrangements avec Dieu lui-même pour trouver la solution qui serait la meilleure pour les hommes. Environ un tiers de musulmans sunnites suivent les rites hanafites. De nos jours, ils sont majoritaires en Irak, en Syrie, en Afghanistan, dans le sous-continent Indien, en Turquie et en Chine.
L'école malikite
Son fondateur est Abû ‘Abd-l-Lah Malik (712-796), auteur d'une des premières compilations de hadiths*. Ce docteur de la loi islamique se présente comme un véritable traditionaliste : la pensée qui l'anime s’inscrit dans la fidélité à la grande tradition prophétique, manifestée à Médine, et pieusement entretenue. De nos jours, cette école occupe une place importante dans les pays de la Haute-Égypte, du Soudan, d'Afrique du Nord et d'Afrique Occidentale.
L’école chafiite
Elle se réclame du théologien Idrîs al-Châfii (767-820). La sunna* est considérée comme la source de droit par cette école qui est suivie de nos jours dans la Basse-Égypte, parmi la plupart des peuples arabes du proche Orient, dans le Caucase, en Indonésie, en Malaisie et aux Philippines.
L'école hanbalite
Elle doit son nom à Mohamed ibn Hanbal (mort en 858). Elle prône un strict traditionalisme qui veut un retour à la première communauté médinoise, là où le Coran* et la Sunna* constituaient les seules sources doctrinales officielles de la religion et du droit musulman. L’enseignement de cette école est presque exclusivement pratiqué aujourd'hui en Arabie Saoudite sous la forme du wahhabisme*.
Malgré leurs divergences, ces différentes écoles restent unies dans l'affirmation d'une même dogmatique. Le principe fondamental du sunnisme, c’est l’unité qui trouve son origine dans la « Parole de Dieu » transmise par le prophète de Dieu. Ce principe peut se résumer de la manière suivante : un seul Dieu, une seule foi, une seule communauté.
Le chiisme
Le chiisme représente 10 à 15 % des musulmans dans le monde. Ils sont majoritaires en Iran (90%), en Azerbaïdjan (85%), en Irak (64%), à Bahreïn (50%), au Yémen (45% de zaydites) et au Liban (45% de Druzes). On les trouve également dans bien d’autres pays(1).
Pour les chiites, ‘Alî (cousin et gendre du prophète) a été clairement désigné par le prophète comme son successeur. Le hadith* al-thaqalayn (deux objets précieux) est cité à l’appui : le prophète dit avoir laissé à la communauté musulmane deux choses précieuses qu’il ne faut pas séparer : le Coran* et sa famille(2). ‘Alî aurait été écarté en raison de son jeune âge, car une communauté dirigée par un chef jeune n’était pas bien vue dans la culture arabo-musulmane de l’époque.
La théologie des chiites est fondée sur la double vision développée principalement lors des quatre premiers siècles grâce aux enseignements des douze imams* historiques : une vision duelle et dualiste du monde.
La vision duelle
Selon elle, toute réalité, de quelque ordre que ce soit, contient deux niveaux : l’un, manifeste, obvie (zâhir), et le second, secret, non manifeste et caché (bâtin). Pour la théologie chiite, par exemple, Dieu possède ces deux niveaux d’être : le niveau caché (ésotérique), qui est celui de son essence, et le niveau manifeste (exotérique) : celui des noms et des attributs. Le premier niveau ne peut être connu par l’être humain, car il dépasse tout raisonnement, tandis que le second permet la connaissance de Dieu. En effet, Dieu a choisi, dans sa bonté et sa bienveillance, de se révéler aux êtres humains par ses noms et ses attributs. Pour les chiites, l’Imâm* (avec « I » majuscule, à ne pas confondre avec l’imam* qui, dans la tradition sunnite, joue le rôle de conducteur spirituel d’une communauté locale) est le moyen par lequel Dieu se fait connaître, le lieu de la manifestation divine par excellence. Les penseurs et les lettrés chiites l’appellent « l’Imâm* dans le Ciel », « l’Imâm* de Lumière », « l’Homme cosmique » [… et « ‘Alî dans le ciel ».
‘Alî, à son tour, a aussi deux niveaux de manifestation : ‘Alî métaphysique et ‘Alî historique. Et ainsi de suite.
La vision dualiste
Cette vision doit être associée à la précédente. Le monde y est vu dès son origine comme un combat entre les forces du Bien et les forces du Mal. On entend par Bien « l’Intelligence cosmique » (‘aql), et par Mal « l’Ignorance cosmique » (al-jahl). Ce combat continue à opposer les partisans de ces deux armées : celle de l’Intelligence cosmique est représentée par l’Imâm* et ses partisans (les chiites), et celle de l’Ignorance cosmique, représentée par l’Ennemi de l’Imâm* et ses partisans.
Ces deux visions régissent la vie du vrai chiite : la vision duelle détermine la vie « spirituelle » de l’humanité, et la vision dualiste détermine la vie « historique » de l’humanité. Ces deux visions sont à mettre en toile de fond de toute construction théologique chiite imâmite.
L’Imâm* est l’autre point fondamental de la théologie chiite. Il est question de la préexistence de l’Imâm, de l’existence de l’Imâm et de la surexistence de l’Imâm. L’Imâm métaphysique a toujours existé puisqu’il est l’expression du côté visible de Dieu. Quant à l’existence physique de l’Imâm, elle se manifeste par la vie des douze imams* historiques dont le dernier d’entre eux, Mohamed al-Mahdî (né en 870) est entré en occultation majeure en 940-941. C’est par lui que la surexistence de l’Imâm est assurée.
Autres courants
Le Mu'tazilisme ou Mu'tazila
Son nom vient de la racine 'zala qui veut dire en arabe « mettre à part », « distinguer ». Un groupe de théologiens s’est constitué dans un premier temps autour de l'une des plus grandes figures du sunnisme* et du soufisme*, le médinois Hasan al-Basri (642-728). Mais ensuite, ce groupe s’est séparé de son maître et a fondé une herméneutique fondée sur trois principes fondamentaux :
1. La raison est le moyen le plus sûr de parvenir à la vérité et à la foi. Le principe de la raison précède et régit la foi.
2. Le consensus ('jmâ') est accepté à condition qu'il ne contredise pas la raison. Par contre, le littéralisme traditionnaliste (ta'wil) et l'ésotérisme mystique (chiite et soufi) sont rejetés.
3. Le devoir de l'effort personnel ('ijtihâd) pour quiconque doté d'une raison.
Quelques conclusions théologiques
1. Affirmation de l'existence d'un seul Dieu
2. Rejet de l'anthropomorphisme, du dualisme, du prédéterminisme
3. Le Coran est une création et donc pas incréé comme l'affirment les traditionnalistes
4. L'homme est libre dans ses choix car le prédéterminisme conduirait l'homme à vivre sous contrainte (jabr) et ne serait donc plus responsable de ses actes
5. L'enfer est une réalité éternelle réservée aussi à un musulman qui se trouverait dans un état intermédiaire entre la piété et l'impiété s'il ne se repent pas
6. L'obligation de faire le bien et de s'opposer au mal, quitte à se servir des armes pour cela.
Le soufisme*
L’explication la plus avancée pour expliquer son nom considère qu’il vient du mot soufi* qui veut dire en arabe « la laine ». La laine renvoie à l’habillement de ces premiers musulmans que Mohamed* a consacrés à l’étude des textes coraniques à la mosquée* de Médine. Pour se distinguer, ces musulmans portent « des vêtements et un manteau de laine blanche [le burnous/ le manteau] »(3).
Au cœur du soufisme*, l’expérience personnelle et spirituelle du message du Prophète, « par une introspection du contenu de la Révélation coranique »(4). Dans cet effort méditatif, initiatique et spirituel, l’exemple de l’assomption extatique du Prophète (al-mi’râj) reste un prototype d’expérience qu’il faut atteindre. Lors de cette assomption, Mohamed* aurait été élevé dans le ciel et initié aux secrets divins. Les soufis* cherchent à vivre cette expérience initiatique en méditant et intériorisant le contenu spirituel du message coranique.
Ce que recherche le soufi*, c’est donc moins l’application littérale et légaliste du Coran* que l’expérience spirituelle qui le conduira à s’élever vers le divin. La pratique du soufisme* est fondée sur une triade :
1. Charia* : l’enseignement des données scripturaires (Coran* et Tradition)
2. Tarîqâ : la voie mystique et d’initiation. Elle trouve une forme particulière dans chaque confrérie ou congrégation soufie*. Cela conduit à plusieurs tariqât-s (voies), selon les maitres et les lieux
3. Haqîqa : la vérité spirituelle telle qu’elle est incarnée dans la vie du fidèle. Chacun a donc sa « vérité » ; il ne peut y avoir une vérité objective valable pour tous.
Cette triade constitue le cœur de la vie spirituelle d’un soufi* et le conduit à une vie spirituelle fondée, non pas seulement sur la Charia*, mais aussi sur al-Tarîqâ et al-Haqîqa. Cela conduit à chercher ce qui est caché, ésotérique et voilé au commun des croyants. Le soufi* entre dans la voie de l’initiation sous la direction d’un guide spirituel.
Certains ont rapproché cet exercice initiatique de la nouvelle naissance dont parle Jésus à Nicodème dans l’évangile de Jean au chapitre 3. Il s’agit ici, pour les soufis* de la renaissance spirituelle (Wilada al-Rouhia) !
Les soufis* se trouvent dans tout le monde musulman, chiite et sunnite, du Sénégal à l’Indonésie, mais leur liberté d’interprétation et d’herméneutique basées plus sur l’expérience que sur la lettre du Coran* inspirent de la réticence aux oulémas sunnites.
Le wahhabisme*
Muhammad Abd al-Wahâb (1703-1792) fonde en 1745 le wahhabisme* en reprenant les thèses de l’école hanbalite où le Coran* et la Sunna* sont les deux sources acceptées et respectées. Cet érudit et grand prédicateur prône un retour à l’islam originel professé par Mohamed*, notamment à Médine. Il prêche en Arabie un islam pur et dur, fondé sur le littéralisme rejetant tout ajout humain. Son ouvrage Le traité de l’unicité divine (Kitâb al-Tawhîd) reprend l’essentiel de son enseignement.Il est considéré comme « la » référence de la théologie wahhabite.
Le wahhabisme* rejette tout ce qui ne s’inspire pas du Coran* ou de la Sunna*, comme par exemple le culte des saints, les cérémonies funéraires…. Il rejette également toute expression de luxe aussi bien dans les mosquées* que dans les tombeaux, et même dans l’habillement. Il impose une observance stricte de la prière et du jeûne et interdit toute forme de corruption.
Cet enseignement va susciter de l’opposition, notamment de la part des chiites. Muhammad Abd al-Wahâb a trouvé refuge auprès d’un certain Muhammad al-Saoud qui va être gagné par ses thèses. Ces deux hommes vont fonder une théocratie sunnite qu’ils vont appliquer au royaume d’Arabie Saoudite. Le religieux et le politique y fonctionnent ensemble.
Le salafisme*
Le wahhabisme* a donné naissance au salafisme* qu’on peut qualifier de tendance piétiste cherchant à régénérer et réislamiser la société. Deux tendances se sont développées qui vont bien au-delà de ce mouvement.
• Réformiste. Au début 19e siècle, une notion réformiste Salafiste* cherchera à imposer le retour aux sources scripturaires de l’islam, à savoir le Coran* et le Hadith* ;
• Conservatrice. Elle conduit à une lecture littéraliste, et parfois aveugle, des textes islamiques. C’est celle qui domine de nos jours parmi les salafistes*. Elle se décline en trois courants principaux :
(1) quiétiste. Sa préoccupation principale est de vivre selon le Coran* et le Hadith* en rejetant tout engagement politique.
(2) politique. Il a inspiré entre autres les deux mouvements islamistes importants en Algérie les années 1990 (Le FIS et Al Nahda).
(3) jihadiste*. Il se base sur une ligne révolutionnaire et encourage des actions violentes et terroristes. Il a ainsi conduit à la création de différents mouvements jihadistes*, comme Al Qaïda, Boko Haram ou encore l’État islamique (en Irak et au Levant).
En France, les salafistes* se sont fait connaître lors des événements tragiques du terrorisme des années 1990 en Algérie pendant lesquelles les prédicateurs salafistes* ont trouvé une tribune dans les banlieues françaises. D’après Antoine Sfeir, le nombre de salafistes* en France est estimé entre 20.000 et 30.000, âgés de 18 à 35 ans, « dont un quart à un tiers de convertis issus de milieux catholiques ou protestants (Français "de souche métropolitaine", Antillais, Congolais, Zaïrois…) »(5).
Tous ces mouvements et sensibilités n’épuisent pas, loin s’en faut, la grande richesse et diversité qu’on trouve au sein de l’islam, comme c’est aussi le cas au sein du christianisme.