Dieu, Jésus, le mal et nous
Je me souviens avoir été heurté un jour, par des chrétiens qui parlaient ainsi : « C’est à cause de Dieu ! Il a permis que cela arrive ! Il veut te parler… » Je dis : « Non ! Dieu n’a pas permis cela ! Pour moi, un père ne permet pas que son enfant puisse passer par la souffrance, les douleurs, le malheur. Alors, c’est un mauvais père. »
Pour moi, Dieu n’utilise pas le mal, il ne s’en sert pas du tout, au contraire, il lui enlève sa force, son emprise sur nous si on le laisse agir. Il n’a pas besoin d’utiliser le mal ou le malheur pour nous parler ! Je me redis ceci : « J’ai le choix de faire ce que je veux de ma vie. » Dans cette période, nous avons choisi véritablement d’accepter la présence de Dieu dans notre combat, mais jamais nous ne le tiendrons pour responsable d’un accident.
Je continue ma méditation et me demande ce que signifie réellement la présence de Dieu au cœur de cette épreuve.
Faut-il s’attendre à ce que Dieu guérisse Marceau en un claquement de doigts ? Je vous surprendrai probablement, mais ce n’est pas vraiment ce à quoi nous nous attendons ! Certes, je crois que Dieu est capable de grandes choses, mais, quand bien même le temps nous a semblé interminable, avec le recul, je vous avoue que ce fut une expérience tellement riche et dense qu’elle en est positivement inoubliable.
S’attendre à Dieu, pour moi, c’est le sentir véritablement présent à nos côtés. Puis, il y a Jésus. Pour beaucoup trop de personnes, Jésus est un homme qui a marqué l’histoire d’un petit groupe de Juifs qui ont suivi son enseignement. Mais, s’en tenir à cela est bien dommage. L’histoire de Jésus ne s’est jamais terminée. Un jour, il a dit : « Je serai avec vous tous les jours, jusqu’à la fin(1). » Qui, en dehors de lui, pourrait se permettre de faire une telle promesse ? Du coup, sa présence à nos côtés n’est pas quelque chose que nous pouvons prouver, c’est une expérience qui se vit et qui se partage. Bien souvent, une présence silencieuse, discrète, calme et sereine nous fera plus de bien qu’une personne bavarde.
Dieu, je le vois comme ça : calme, serein, parfois silencieux mais toujours présent. Par moments, il est si proche qu’on le sent carrément en soi. À d’autres moments, il se fait si petit que nous avons l’impression qu’il est parti faire un tour ailleurs. Mais lui, il sourit de cela. Il sait qu’il est présent. Il n’attend qu’une chose : qu’on fasse appel à lui. IL EST VÉRITABLEMENT SAUVEUR. Sa présence à nos côtés est un plus dans la vie, car Jésus fait vraiment la différence.
Jésus, c’est mon maître. Étrange de dire cela de nos jours, n’est-ce pas ? Pourtant, je peux témoigner qu’il est mon confident et que je reste son serviteur avec mes limites. Donc, je n’ai pas d’ordre à lui donner. À la différence des hommes de pouvoir, Jésus, lui, fait preuve d’autorité, au sens pédagogique, tel un parent qui tient son enfant par la main et qui lui apprend à marcher seul.
L’autorité de Jésus, c’est cette force de caractère qui lui permet d'inspirer en nous le respect, l'admiration. Il nous propose sa personnalité d’amour, de grâce, de soutien.
Jésus ne passe pas son temps à dire « Ne fais pas ceci ou cela », mais il nous aide à réfléchir sur ce que nous sommes et ce à quoi nous sommes appelés à être. Pour faire simple, il nous apprend à devenir véritablement humains, pleinement vivants.
À nous de choisir ce que nous faisons de notre quotidien. Je me sens responsable de ce que je vais faire du temps que je vis en ces lieux, en ces instants de combat. Mais être responsable ne signifie pas être seul, ou être livré à soi-même. Non, le Seigneur est là. Dans notre situation, surtout celle de Marceau, la résilience sera essentielle. Il faut accepter de laisser le temps au temps.
Le mal ou le malheur nous touche tous. Un jour ou l’autre, nous en sommes tous victimes. Comme le disent certains psychologues, nous sommes des victimes de victimes. Mais la vie continue malgré tout. De toute manière, nous n’avons pas vraiment le choix.
Souvenirs de mon enfance
Pour ma part, j’ai grandi dans une famille où le malheur a existé. Très rapidement, mes parents ont sombré tous les deux dans l’alcool. Nous connaissons les ravages que cela crée dans une vie. Ce sont alors des mots, des coups qui volaient dans tous les sens. Des soucis financiers, un divorce...
Bien évidemment, quand on est jeune et que l’on constate toute la violence que l’être humain peut dégager, on se demande à quoi sert la foi en Dieu ou ce qu’il peut faire. Mes grands-parents maternels étaient tous deux des chrétiens très engagés dans la foi. Ils avaient pris soin de partager avec moi les bontés de Dieu dans leur vie. Ils m’ont ainsi appris à trouver la foi au cœur de la souffrance liée à la violence(2).
Souvenirs de l’enfance d’Ève
Nous avons failli perdre notre petite Ève quand elle n’avait que cinq ans.
Voyant qu’elle se sentait très mal, pâle, fiévreuse et qu’elle s’apprêtait à perdre conscience, la pharmacienne nous interpelle : « Filez vite à l’hôpital, n’attendez pas ! Je ne veux pas vous faire peur, mais votre petite semble faire une méningite. »
Arrivés aux urgences pédiatriques, les avis des médecins vont dans ce sens. Nous avons le sentiment de perdre notre enfant tant elle est faible. Le médecin nous dit qu’ils vont faire une ponction lombaire.
Vous pouvez imaginer le stress. La nuit arrive, il faut que j’évite à tout prix qu’elle dorme trop profondément.
À 7 h 00 du matin, alors qu’elle est encore totalement à plat et que je n’ai plus la force de prier, je lui prends la main et lui dis : « Ève, je suis épuisé. Essaie de demander à Jésus de te guérir, je ne sais que faire. » Voilà Ève qui dit : « Jésus, guéris-moi très vite. » Aussitôt, je me recouche dans mon lit d’appoint. Mais à peine deux minutes plus tard, Ève m’appelle : « Papa, je dois faire pipi. » Je lui explique qu’elle ne peut pas se déplacer. Ève me répond : « Papa, je n’ai plus rien, je suis guérie. » J’ai bien du mal à réaliser que ma fille va vraiment bien. Elle est même assise sur le bord de son lit alors que quelques minutes plus tôt, elle n’avait même pas la force de parler. La voilà maintenant prête à se déplacer !
J’appelle l’infirmière qui s’étonne de son état. Elle l’autorise à se rendre aux toilettes avec sa perfusion. Tout le monde surveille attentivement ses pas. Mais, croyez-moi, Ève marchait comme si elle n’avait jamais rien eu. L’équipe médicale décide alors de reprendre ses paramètres et de refaire une prise de sang. Vers 8 h 15, le médecin arrive avec les résultats, il me dit que tous ses paramètres sont normaux.
Il me rassure : il n’y a plus aucune trace de quoi que ce soit, son infection a disparu. Ève est maintenant tout à fait rétablie. Elle bouge. Elle prend même son petit-déjeuner… Vers 9 h 00, le médecin nous dit qu’Ève peut rentrer à la maison. Il ne s’explique pas ce revirement de situation.
Croyez-moi, Marie et moi avons remercié Dieu pour cette intervention divine. Nous ne sommes pas du genre mystique, mais nous savons ce jour-là que Dieu a guéri notre petite fille. Après sa prière, elle disait avec assurance à tout le monde que Jésus l’avait guérie.
Après avoir partagé ce témoignage, une amie chrétienne me disait : « Ce sont les médicaments qui ont agi. » Probablement, mais je connais mon Dieu, je sais ce qu’il est capable de faire ! Reconnaître Dieu dans toutes mes voies aplanit véritablement mes sentiers.
Savoir reconnaître ce que Dieu fait
Ce dont je peux témoigner après plus de vingt ans de vie partagée avec Jésus, c’est qu’il n’y a aucune situation qui ne puisse être transformée par Dieu. Au lieu de me demander pourquoi Dieu permet que nous vivions telle ou telle situation troublante, je l’entends plutôt me parler comme il l’a fait lorsqu’il a demandé à Bartimée, alors aveugle : « Que veux-tu que je fasse pour toi(3) ? » Pour moi, ça change tout. C’est une question que Jésus nous pose encore aujourd’hui.
Il est 8 h 00 ce jour-là. Marceau m’appelle en frappant sa main sur le lit. Il commence à parler davantage et veut me dire quelque chose : « Papa, merci pour tout ce que tu fais avec maman. »
Ses paroles reconnaissantes me donnent les larmes aux yeux. L’infirmière vient interrompre ce doux moment ; c’est l’heure de la radio quotidienne et de la prise de sang. Il en aura eu des piqûres depuis sa chute ! Marceau ne s’est jamais plaint, il remercie toujours par un grand sourire la personne qui s’occupe de lui.
Sa gentillesse est toujours soulignée par les équipes. Après la radio, Marceau me glisse ceci : « On va affronter la journée. » J’ai bien compris ce qu’il voulait me dire. Il veut faire face, même si chaque minute est une bataille contre les douleurs qui sont de plus en plus fortes, malgré la morphine diffusée dans son corps continuellement.
Alors que j’étais sur le point d’aller me chercher un café, l’aide-soignante arrive avec un plateau et le petit-déjeuner. Cette attention me touche dans ces circonstances. Cela peut sembler banal mais, pour moi, c’est encore un sourire de la part de Dieu. Je lis en effet dans la Bible : « Reconnais Dieu dans toutes tes voies(4)… », et je prends beaucoup de plaisir dans ma vie à mettre en œuvre ce conseil. Je prends soin de goûter et de voir combien le Seigneur est bon. Parfois, dans les épreuves, il nous arrive de ne plus prendre goût aux choses de la vie ; mais j’ai appris que Dieu, lui, avait toujours une saveur telle qu’on ne peut que l’apprécier.
Des coïncidences qui n’en sont pas
Même si la saveur n’est pas dans la qualité du petit-déjeuner de l’hôpital, ce plateau a le goût du bonheur, car cela fait plusieurs jours que je ne mange presque rien. Il me fait beaucoup de bien ce petit plateau. Marceau, lui, ne mange toujours pas, cela devient très compliqué. Il n’a mangé que quelques compotes depuis le début de son séjour et je ne suis pas certain qu’il les ait toutes terminées.
Il est faible et ne veut toujours rien manger de plus, pourtant je lui propose d’aller en ville acheter des choses qu’il aime, mais rien n'y fait. Le chirurgien arrive. Il nous présente rapidement le bilan de la journée et il fait comprendre à Marceau qu’il doit manger s’il veut bien récupérer. Il finit par accepter un yaourt nature qu’il ne finira pas, en revanche il boit beaucoup d’eau.
Quelques instants plus tard, une jeune dame entre dans la chambre : « Bonjour, je suis votre kiné, je suis là pour vous faire faire quelques exercices de respiration. » On le sait, ces exercices ne sont pas des plus appréciés mais, pour se rétablir, il faut passer par là. Pendant que nous discutons, elle remarque notre petit accent : « Ne seriez-vous pas de Belgique ? » Comment ne pas affirmer, belges et fiers de l’être !
Nous découvrons ainsi qu’elle a vécu à Liège pour ses études. Cerise sur le gâteau : l’école qu’elle a fréquentée est près de chez nous ! Ce genre de rencontre nous permet de nous évader quelques instants, et ça fait du bien. Elle parle avec notre fils qui sort un mot de temps à autre. Ça le fait sourire car elle connaît bien son école et ses objectifs sportifs. Voilà pour nous de petits signes de la bienveillance de Dieu au sein de cet hôpital !
Comme cette séance de kiné risque de prendre un peu de temps, je me décide à laisser mon fils pour aller prendre un café. Ici, c’est le parcours du combattant. Avec le Covid-19, il faut faire un grand détour pour un petit café : passer les contrôles, se désinfecter les mains...
Vous n’imaginez pas le défi pour moi de retrouver mon chemin ! Pour ceux qui ne me connaissent pas, je fais partie de la catégorie des TDAH : Trouble de Déficit de l’Attention avec Hyperactivité. Non seulement je vis à deux cents à l’heure dès mon réveil mais, en plus, ma tête fonctionne avec des dizaines de projets à la minute. Du coup, mes pensées me font voyager dans mon monde et je suis distrait. Je cherche toujours mes clés, ma carte bancaire et surtout mon chemin ! J’ai un GPS dans la voiture ; je pense qu’un jour la dame qui parle pour m’indiquer mon chemin finira par s’énerver, tellement je suis distrait. Vous ne pouvez pas imaginer les kilomètres que j’ai faits en trop dans ma vie. Mais, comme disent mes enfants, cela nous permet de voir du paysage ! Ma femme n’ose plus dormir pendant le trajet des vacances. Elle veille sur les panneaux pour ne pas se tromper de route !
Et pour rédiger l’histoire que vous lisez, cela me demande une énergie folle. Je me demande si j’y arriverai vraiment. En tout cas, depuis le début de notre séjour à l’hôpital, je suis très concentré sur les chemins à suivre pour retourner à la chambre. Le pire, c’est que je suis toujours certain de mon chemin ! Mais je me perds souvent. Il m’est même arrivé d’attendre pour rien devant la porte d’une chambre en pensant que c’était celle de mon fils !
Dans la chapelle de l’hôpital
C’est ainsi qu’en revenant de mon café, je me suis perdu et me suis retrouvé dans la chapelle ! Je rentre dans la pièce qui est plongée dans un silence absolu. Personne à l’intérieur. Je sais que Dieu conduit mes pas, et que tout concourt au bien de ceux qui l’aiment. Je ne me suis pas retrouvé ici par hasard. Pas d’aumônier en vue, c’est dommage. J’aurais bien eu besoin de parler un peu. Je m’assieds sur l’un des bancs. La pièce est sombre, juste un fond de lumière éclairant un coin de la pièce. L’odeur de la bougie domine. Que c’est calme ici ! Pendant quelques instants, je me sens déconnecté du monde. Je ressens la présence de Dieu dans ce lieu. Cela ne s’explique pas.
Marceau devra aller faire des examens après sa séance de kiné. Du coup, je prends le temps de m’asseoir et de rester au calme. Je prie pour mon fiston. Au fond de la pièce, il y a quelques cartes avec des passages bibliques. Je décide d’en apporter quelques-unes dans la chambre de Marceau. Nous les lirons plus tard.
Je ne sais pas combien de temps je suis resté dans cette pièce, mais cela m’a fait un bien fou. Juste me retirer avec le Seigneur quelques instants m’a fait penser à cette parole de Jésus : « Moi je suis la porte, si quelqu’un entre par moi, il entrera et il sortira et il trouvera de verts pâturages(5). » C’est vraiment ce qui s’est passé durant ce temps. Un moment avec le Seigneur vaut mieux que mille ailleurs et cet instant m’a rafraîchi l’âme.
Sur le sol, au pied de la table, je vois une carte avec des paroles du pape François. Bon, je vous avoue qu’en « bon protestant », je veux la reposer car je ne me sens pas concerné. Mais après tout, je la garde avec moi.
Je retourne à la chambre. En sortant de l’ascenseur, je tombe nez à nez avec le chirurgien. Il se veut rassurant et me dit que tout ira bien pour Marceau. Il est confiant, mais ce sera très long. J’arrive dans la chambre et mon fils est déjà revenu de ses examens. Je lui raconte ma découverte de la chapelle et lui propose de lire une petite carte, il accepte bien volontiers. La première carte que je prends est celle du pape François. Les paroles qu’elle contient sont pleines d’espoir pour nous : « Tout ce que le Christ touche devient jeune, devient nouveau, se remplit de vie. » C’est un bel encouragement pour moi. Je suis allé plus tard sur Internet pour savoir dans quel contexte il avait dit cela. Voici un extrait de son exhortation aux jeunes : « Il vit, le Christ, notre espérance et il est la plus belle jeunesse de ce monde. Tout ce qu’il touche devient jeune, devient nouveau, se remplit de vie. Les premières paroles que je voudrais adresser à chacun des jeunes chrétiens sont donc : il vit et il te veut vivant ! »
Marceau est aussi touché par ces mots. Je prie avec lui : « Seigneur, nous désirons que tu touches Marceau dans son corps, dans son âme et dans son esprit. Nous désirons te laisser agir. Pose ta main sur tout ce qui a été abîmé, déplacé, détruit et que cela retrouve vie, force et jeunesse. Que tout redevienne nouveau et vie. »
Marceau a très mal après ses exercices de kiné et les examens. Mais il me fait comprendre qu’il a répété chaque mot de cette prière exprimée lentement.
Je l’invite alors à donner ses douleurs à Jésus pour qu’il les touche. À peine avons-nous terminé de prier que l’infirmière arrive pour faire une prise de sang. Nous continuons à faire confiance à Dieu, à persévérer dans le calme. C’est notre force. En attendant les résultats, nous prions encore et exprimons avec foi : « Seigneur, fais que les résultats de la prise de sang n’indiquent pas d’infection et que, par l’impulsion de ta grâce, tout aille mieux pour Marceau. »
Notre fils aurait bien aimé essayer de s’asseoir, mais il est encore trop faible et les douleurs sont toujours terribles. Après le temps de prière, rien n’a vraiment changé. Les douleurs ont même augmenté en intensité.
Les médecins ont ajouté un autre médicament pour tenter de réduire les douleurs, mais rien n’y fait. De faibles cris de douleur soulignent notre incapacité à agir.
Marie arrive pour prendre le relais. Nous passons quelque temps tous les trois. Nous appelons notre fille, toujours triste de savoir son frère dans cet état. Elle nous raconte sa journée de travail et voilà le temps qui passe ; il est temps pour moi de rentrer.
Au moment où je sors, Marceau ne va vraiment pas bien. Il a une forte poussée de fièvre et on voit rapidement que ça se complique. La saturation en oxygène diminue, son cœur bat beaucoup trop fort. Nous voilà à nouveau dans le même cas de figure que l’autre fois avec une équipe médicale débordée avec l’arrivée de plusieurs patients dans le service.
L’avocat de notre fils
Je me souviens que le chirurgien nous a bien dit qu’il ne fallait pas laisser Marceau souffrir mais que les soignants étaient débordés dans ce service. Il nous avait dit de ne pas laisser patienter Marceau, mais ce n’est pas évident.
Alors que Marie discute au téléphone avec notre collègue qui prend des nouvelles, il nous indique une phrase qui va bouleverser notre attitude : « Vous êtes son avocat ! Ne laissez rien passer pour lui. »
Nous prenons alors conscience qu’il faut agir et ne plus tolérer de telles attentes. Marceau n’a toujours vu personne entrer dans la chambre depuis son premier appel et sa température le fait transpirer. Son cœur bat encore plus fort. Les appareils sonnent. Franchement, la situation nous rend fous.
Marie interpelle alors sérieusement l’infirmière de service qui vient tout de suite. Elle nous dit que Marceau est au maximum des médicaments supportables et qu’elle ne peut rien faire de plus. Marie insiste. L'infirmière décide alors de faire appel au chirurgien qui ne répond pas. On nous signifie que son collègue est en route et qu’il passera par ce service.
Cependant, Marceau souffre très fort. Sa douleur est passée à 12 ou 13 sur 10. Avec le peu de forces qui lui restent, il me dit : « Papa, va parler au docteur de la réanimation. » Ce médecin nous avait bien indiqué de le faire en cas de problème, mais je suis embarrassé de devoir le faire. Le regard de mon fils souffrant me fait dépasser cette crainte. J’y vais de suite. Aujourd’hui, ce docteur est en congé. Sur son conseil, nous allons en parler avec le chirurgien de garde. Et là, c’est une fois de plus un « Clin Dieu » car ce médecin de garde connaît déjà l’histoire de Marceau. Il a suivi l’opération avec un autre collègue durant l’intervention. Il me rassure alors qu’il va rapidement faire quelque chose pour mon fils.
Alors que je discute avec lui devant l’ascenseur, je me permets de lui dire que nous sommes chrétiens et que beaucoup de personnes, partout dans le monde, prient pour notre fils. Il sourit. Je ressens quelque chose de positif avec ce médecin. Je vais alors plus loin en lui disant qu’en ce moment, bien des personnes prient aussi pour lui et pour ses collègues, car nous avions demandé au groupe de prière d’intercéder pour que les équipes médicales soient conduites par la main de Dieu. Je termine ainsi : « Docteur, que Dieu conduise vos gestes, vos décisions pour toutes les personnes que vous accompagnez, qu’il pose sa bénédiction sur votre vocation ! »
Le médecin est touché. Ça se voit, ses yeux brillent. Alors, il me répond : « Amen, amen ! » À ce moment précis, je prends conscience de quelle manière Jésus est réellement présent dans cette épreuve. Car si ce docteur répond ainsi, c’est qu’il est chrétien ! Je sais alors qu’il prie pour son travail, que sa famille ou des amis prient pour lui… Du coup, il n’est pas seul à agir car Jésus fait partie de son quotidien. En effet, la présence de Jésus dans une vie fait toute la différence. Cela n’a rien à voir avec l’aspect religieux.
Après notre échange, ce médecin prend son téléphone et fait le nécessaire pour soulager Marceau avec des antidouleurs supplémentaires. Marie reste auprès de notre fils. Quant à moi, ma belle-mère est en bas, venue me récupérer pour m’éviter de faire la route seul.
Mon combat spirituel
Ce soir, mes beaux-parents ont prévu un repas que j’aime : de l’andouillette ! Ça me donne l’eau à la bouche rien que d’en parler. Nous prenons le temps de manger. Dehors, le tonnerre gronde et la pluie tombe très fort. Marie nous envoie alors le rapport du soir. L’état de Marceau est stationnaire ; l’intensité des douleurs est redescendue à 9/10. Sa température a diminué à trente-huit degrés et son cœur bat pratiquement normalement. La saturation en oxygène est meilleure, nous attendons les résultats pour le lendemain matin.
Nous prenons le temps de prier à table avant d’aller nous coucher. Demain sera un autre jour. Mais voilà, quand je me retrouve seul, le moral tombe à plat. Des luttes internes me font terriblement souffrir. J’angoisse pendant un quart d'heure. Je me mets alors à genoux pour prier et supplier Dieu d’intervenir. Car, voir notre fils souffrir ainsi est insupportable et nous ne pouvons rien faire pour le soulager.
Je décide de changer d’attitude : au lieu de supplier et de continuer à sombrer dans ce qui nourrit mon mal-être, je décide de m’asseoir sur mon lit, de louer Dieu et de chanter des cantiques. Je décide de m’accrocher au positif, même si c’est difficile. Je me réjouis de ce que Marceau est vivant, qu’il n’a pas perdu la fonctionnalité de ses membres. Il voit, il parle, même si ce n’est que quelques mots. Il sourit, il se bat et place sa confiance en Dieu. Bref, il y a de quoi rester positif et s’y accrocher.
Dans ce combat contre moi-même, je repense à cette parole que Jésus a adressée à ses disciples :
« Ayez foi en Dieu. Amen, je vous le dis : si un homme qui ne doute pas dans son cœur dit à cette montagne : ‘'Enlève-toi de là et va te jeter dans la mer’', s’il croit vraiment que ce qu’il dit va arriver, alors cela lui sera accordé ! C’est pourquoi, je vous le dis : tout ce que vous demandez dans la prière, croyez que vous l’avez reçu, et cela vous sera accordé. Quand vous priez, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez-lui, afin que votre Père qui est aux cieux vous pardonne aussi vos fautes . »
Je médite sur ces mots : « Ayez foi en Dieu ». Ces mots me parlent de ma volonté à m’engager personnellement. Car Jésus nous invite à mettre notre confiance en lui et en lui seul. Faire confiance nécessite un certain abandon, surtout celui de mes craintes dans mon cas. Puis, il y a la nécessaire volonté de faire face à l’obstacle qui nous semble insurmontable. Cette montagne qui aurait pour mission de nous décourager, de nous épuiser. C’est alors que je me dis que parler à cette montagne de s’enlever, cela est possible si je décide de la dépasser, de la surmonter. C’est prendre le contrôle de ma situation par la foi. Et ça, ça marche ! Même si cela semble impossible, AVEC Dieu tout est possible. Cela reste une vérité essentielle que nous pouvons tous expérimenter.
Dans mon cas, cette montagne, c’est la difficulté face à la souffrance de mon petit ou encore l’incertitude du lendemain. C’est aussi mon sentiment d’impuissance.
« Enlève-toi » se dit dans la foi, dans l’espérance que Dieu nous permet de prendre autorité sur ce qui a pour mission de nous abattre, de nous affaiblir. Ici, il ne s’agit pas de se relever, mais de tenir ferme devant l’épreuve. C’est un choix personnel, une volonté forte qui nous permet de contrôler notre vie.
« Tout ce que vous demandez dans la prière, croyez que vous l’avez reçu, et cela vous sera accordé. » Jésus demande de nous attendre au changement. Souvent la montagne à surmonter correspond plus à des luttes personnelles internes. C'est à chacun de tenter cette expérience. Pour ma part, j’ai décidé de me débarrasser de mes doutes et de mes angoisses. C’est déjà un début, car avoir des doutes est tout simplement normal. Ils nous permettent de prendre conscience de la force de la foi en Dieu si nous arrivons à les dominer.
Pendant que je médite ce passage de l’Évangile, mon téléphone bipe. C’est Gloria, de notre équipe de prière, qui m’encourage avec son SMS qui arrive au bon moment. Quand je vous dis que l’Église prend tout son sens quand elle est à l’écoute de l’Esprit Saint ! Je lui indique mes luttes. Quelque temps après, je sens que des personnes prient pour moi particulièrement. C’est franchement puissant cette présence fraternelle vécue et je remercie ici toutes les personnes qui ont contribué à cette étape. Ainsi, je ne suis pas seul à déplacer mes montagnes intérieures à ce moment-là. Dieu avait prévu des personnes à mes côtés.
À la question de Jésus « Que veux-tu que je fasse ? », ma réponse a été : « Aide-moi à déplacer mes montagnes intérieures pour continuer à porter mon fils vers des jours meilleurs, des jours de victoires. » Je demandais aussi au Seigneur de me montrer davantage qu’il était là, auprès de mon fils.