Je me tenais au pied de la croix où l’on venait de clouer Jésus, mon maître. Je le voyais essoufflé, assoiffé, éreinté, agonisant. Les tortures de la nuit l’avaient épuisé, sa lente asphyxie l’achevait peu à peu. Lui qui avait rendu la vie et la joie à tant de personnes, voilà qu’il allait mourir, abandonné de tous.
La peur
Mes collègues avaient choisi la distance : ils restaient loin, craignant d’être associés à l’ennemi public n°1. Ils avaient peur que la haine qui s’était déversée sur lui ne vienne les briser eux aussi. Alors ils étaient loin, là-bas, séparés les uns des autres, comme s’ils ne se connaissaient pas, comme s’ils ne le connaissaient pas. Je ne les blâme pas : la violence qui s’était abattue sur Jésus avait de quoi terrifier. La peur et la confusion avaient eu raison de notre unité. Je ne les blâme pas, mais moi, je n’ai pas pu laisser Jésus mourir seul.
Le danger
Les gardes romains, eux, étaient tout près des croix, les chefs religieux aussi : ils veillaient à la bonne exécution de celui qu’ils avaient condamné à mort. C’était dangereux de s’approcher. Avec quelques femmes, nous nous sommes pourtant frayés un chemin jusqu’au premier rang. Il y avait avec moi sa mère Marie, sa tante et deux autres Marie qui avaient fait partie du groupe des disciples. Nous ne pouvions rien faire, rien dire, seulement être là et espérer être ainsi un réconfort pour lui.
Son inquiétude
Jésus avait de plus en plus de mal à respirer. À un moment, il a regardé Marie, sa mère, avec insistance. Ses sourcils froncés montraient qu’il réfléchissait. Je devinais son inquiétude : sa mère était veuve, presque sans revenu, et maintenant que Jésus allait mourir, en plus de sa peine, sa situation allait devenir encore plus précaire. Comment allait-elle vivre ?
Notre future mission
Absorbé par Marie, je réfléchissais moi aussi, quand j’ai senti le regard de Jésus se fixer sur moi. Je me suis retourné et il m’a fait un signe de tête. Profitant d’un moment d’inattention des gardes, je me suis approché. Marie m’a suivi. Jésus me regardait dans les yeux. D’une voix qui n’était guère plus qu’un sifflement, il dit alors à Marie : « Voici ton fils. » Puis, à moi : « Voici ta mère. »
Ensuite, il a demandé à boire, et il a expiré en disant : « Tout est accompli. » Il était mort. Nous étions seuls, mais pas isolés. Nous allions pouvoir continuer à vivre l’amour qu’il nous avait fait découvrir. J’avais reçu la mission de prendre soin de sa mère, comme si c’était la mienne. Elle avait reçu la mission de me soutenir aussi.
Marie est rentrée avec moi ce soir-là. Les années ont passé. Marie continue de vivre chez nous. Nous pouvons ainsi nous soutenir mutuellement.