J’avoue n’avoir jamais été convaincu par les Réformateurs quand ils disent que l’homme est complètement incapable de faire le bien. Contre les catholiques du XVIe siècle qui disaient qu’on pouvait aller au ciel en faisant de bonnes actions, ils ont peut-être trop radicalisé leur message en affirmant que nous n’étions capables d’aucun bien. N’est-il pas parlé dans l’Écriture d’« hommes de bonne volonté »(1) ? Cela correspond très bien à Corneille, ce centurion romain dont parlent les Actes des Apôtres. Ils rapportent qu’avant son baptême, il s’entend dire par un ange du Seigneur : « Dieu a accepté tes prières et les dons que tu fais aux pauvres, il ne t’oublie pas. »
Cependant, là où les Réformateurs ont évidemment raison, c’est qu’aucune de nos actions n’est digne de Dieu et que, en tous cas, aucune n’est assez parfaite pour nous faire mériter le salut. En admettant que nous soyons des « braves gens », nous ne sommes pas dignes de la sainteté de Dieu.
Le conflit qui nous tiraille tous
C’est au point où, observe l’apôtre Paul, même l’idée du bien qui existe en moi, je ne parviens pas à la convertir en actes : « Oui, je le sais, le bien n’habite pas en moi, je veux dire en moi qui suis faible. Pour moi, vouloir le bien, c’est possible, mais faire le bien, c’est impossible. En effet, le bien que je veux, je ne le fais pas, et le mal que je ne veux pas, je le fais. »
Ce passage, où Paul évoque ce conflit intérieur, a suscité l’admiration d’un jeune étudiant en philosophie. En le citant, cet auteur en dit ceci : « …parmi tous les textes significatifs du Nouveau Testament peu sont aussi riches de sens et d’observation que ce passage de l’Épître aux Romains ». Or, c’est un texte où Paul démontre que le péché est une sorte de « personnage » qui vient perturber jusqu’au meilleur de ma volonté. Je suis tellement ficelé, piégé par le péché qu’il faut absolument que Jésus-Christ me sauve de la mort à laquelle ce péché m’entraîne, loin de Dieu : « Qui va me libérer de ce corps qui me conduit vers la mort ? Remercions Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur ! »
Il se trouve que notre étudiant en philosophie était un jeune homme qui n’avait pas eu la moindre éducation religieuse et qui était athée. Son nom : Albert Camus. Ce qu’il écrit au sujet de ce texte de Paul montre qu’il a fait l’expérience personnelle de ce tiraillement intérieur entre le bien qu’on voudrait faire et le mal qu’on fait effectivement.
Vouloir et pouvoir ne sont pas la même chose
En politique, combien d’« effets pervers » viennent compromettre une bonne loi ! Par exemple, la Sécurité sociale est une notion magnifique, mais elle suscite des profiteurs qui « truandent » le système ou qui l’exploitent au-delà de ce qui leur est dû. Non seulement le bien que nous arrivons à faire est sali par les défauts qui s’y mélangent, mais on sait que l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Peut-être avons-nous une petite disposition au bien, au moins l’aptitude à l’imaginer et à le vouloir, mais à le faire et… à le faire bien, c’est une autre histoire.