Parmi les écrits de Paul, la seconde épître aux Corinthiens se distingue par de nombreux « morceaux de bravoure » rhétoriques. Paul le missionnaire, le théologien, y démontre aussi des talents d’écrivain pétri d’un double-héritage : celui du judaïsme et de la poésie biblique d’une part, mais aussi celui de la culture hellénistique. La qualité d’écriture de ces passages est à la hauteur des circonstances tumultueuses qui ont motivé leur composition : Paul, comme on sait, y défend vigoureusement son apostolat, fortement contesté à Corinthe. Notamment, au chapitre 6, par une de ces longues tirades dont l’apôtre est familier. Elle tient, grammaticalement, en une seule phrase, 109 mots dans le grec ! Quoique très peu étudiés pour eux-mêmes1, en dehors bien entendu des commentaires d’ensemble de 2 Corinthiens, ces versets 3 à 10 constituent pourtant un sommet poétique –et, on le verra, théologique- de « la grande apologie apostolique », un ensemble qui s’étend de 2,14 à 7,162.
Paul y introduit le lecteur, en 6,1, en se présentant comme un collaborateur du Seigneur, qui lance un appel aux chrétiens de Corinthe. Mais bien plus qu’une simple exhortation, il s’agit, à vrai dire, d’un plaidoyer passionné, presque lyrique. La phrase est une longue énumération des souffrances, des luttes de Paul et des moyens par lesquels il les affronte. Elle est comparable à un torrent de mots dévalant de sa plume et de son cœur3. Et pourtant, on le verra, ce torrent est remarquablement construit et ordonné4. La défense du « service » (diakonia, 6,3) de Paul s’appuie sur un enchaînement rigoureux. Le recours à la poétique n’a rien de gratuit, il s’inscrit ici dans une intention « performative ». Il lance un appel à ses lecteurs, et use pour cela d’une écriture à l’impact fort.
Nous proposons tout d’abord de découvrir, dans une traduction assez littérale, la structure du texte, en chiasme (c'est-à-dire croisée, en effet de miroir) des versets 4 à 10 que nous nous proposons par la suite, de justifier5 et surtout d’interpréter.
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Puisque nous travaillons avec (Lui), nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu.
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Il dit en effet : « Au temps favorable, je t’ai exaucé, et au jour du Salut, je t’ai secouru »6.
C’est maintenant le temps bien propice, c’est maintenant le jour du Salut.
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Nous ne souhaitons surtout en rien7 provoquer, notre service en serait stigmatisé,
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au contraire, en tout, nous nous montrons nous-mêmes serviteurs de Dieu,
Dans une grande persévérance
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Dans les détresses
Dans les contraintes
Dans les angoisses
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B. Dans les coups
Dans les prisons
Dans les émeutes
C. Dans les labeurs
Dans les veilles
Dans les jeûnes
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D. Dans la pureté
Dans la connaissance
Dans la patience
Dans la bonté
D’. Dans l’Esprit-Saint
Dans l’amour sincère
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Dans la parole de Vérité
Dans la puissance de Dieu
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C’. Par les armes de la justice, offensives et défensives
Par la gloire et le mépris
Par la bonne et la mauvaise réputation
B’. (Considérés) comme menteurs et (pourtant) véridiques
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Comme inconnus et (pourtant) bien connus
Comme moribonds et voilà que nous vivons,
A’. Comme châtiés mais pas mis à mort,
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Comme attristés mais toujours dans la joie,
Comme pauvres, mais faisant bien des riches,
Comme n’ayant rien, et nous possédons tout ! ...