« Pasteur, les offrandes sont en baisse, le budget ne sera pas atteint. Nous aurons des difficultés à vous verser vos émoluments. Il faut absolument prêcher sur la dîme ! ».
Heureux prédicateur celui auquel nul n’aura suggéré, avec forte insistance, qu’il fallait de toute urgence prêcher sur tel ou tel sujet avec une récurrence de la question du mariage, de l’offrande, du respect des horaires, du statut de la femme et quelques autres… ! Chacune de ces suggestions appuyées se voyant promptement justifié par un verset de la Bible bien senti, sensé établir la parfaite légitimité de l’intention. Ce type de demande me met mal à l’aise ; j’y accède rarement. Non que je juge les questions suggérées triviales, ni que je n’aurais pas la conviction que la prédication ait à éclairer le chemin de foi des croyants et à les aider à accéder à une vie responsable ; ni encore parce que je penserai que seule ma perception serait légitime pour décider du projet homilétique. Au contraire, j’apprécie quand une vraie réflexion collective prend place autour de la prédication. Je crois savoir reconnaître une suggestion ou une réflexion ouvrant des perspectives utiles. De même je pense avoir abordé de front bien des questions délicates sujettes à polémiques, relevant de l’éthique, de la discipline spirituelle, des valeurs politiques et autres horizons de la théologie. Ma résistance est résistance à des demandes que je ressens comme “instrumentalisant” la prédication et donc le prédicateur, au profit de projets émanant de frustrations personnelles. Il est déjà assez difficile pour le prédicateur de trouver la bonne distance d’équilibre entre sa personne, ses émotions, son vécu et sa prédication. Nous le savons la tentation existe de se cacher derrière la vertu homilétique et l’autorité de la chaire, pour adresser quelques remontrances là où notre sensibilité est à vif, ou encore pour donner un peu plus de volume et de poids à notre opinion quand un débat délicat agite la communauté.
Se voir confier la prédication par une assemblée, est une manifestation de confiance. Or confier la parole c’est confier une certain autorité ; pour l’auditeur c’est un peu se confier lui même au prédicateur. Un usage manipulateur de la prédication ou seulement une démarche négligente est une faute envers la fraternité. C’est une chose d’évoquer un thème sagement choisi, c’est autre chose d’utiliser la prédication pour faire entendre sa propre voix. Nous ne sommes pas naïfs, dans sa dimension de parole humaine, aucune prédication ne peut totalement s’affranchir de ce qui agite le prédicateur, ni d’ailleurs ne doit l’être car si la prédication n’est pas marquée de l’homme(1) qui la pense et la porte, le sermon devient alors inhumain donc inaudible. Une prédication est un témoignage. Le prédicateur témoigne. Mais il témoigne à partir de son attention à la révélation du Christ dans toutes les Écritures. Qu’un sermon porte l’empreinte de son auteur, de sa personnalité, c’est même une qualité ; mais c’est autre chose que ce sermon soit captif des angoisses ou des conflits du prédicateur ou d’un groupe dont il serait établi porte-parole. Réjouissons-nous de ce que l’Esprit utilise nos sermons avec toutes leurs imperfections, pour autant ne nous permettons aucune négligence.
Cette approche “utilitaire” de la prédication a un point de départ pour le moins ambigu, centrer la prédication autour d’un préalable : ce que “je” veux dire aux autres. C’est donc être a priori convaincu de maîtriser à l’avance ce “ce qu’il faut dire”. Là encore aucun prédicateur lucide ne niera avoir en tête quelques pensées et quelques intentions. Que le prédicateur ait un but ressort pleinement de sa responsabilité. Une perspective pastorale de la prédication suppose un projet pastoral, donc un certain regard “diagnostiquant” les besoins d’une communauté donnée. C’est là une démarche légitime, qui n’est en rien une instrumentalisation. “Instrumentaliser”, c’est mettre la prédication au service du prédicateur, utilisant la Bible comme une réserve d’illustrations et de citations seulement utiles pour attester ce que de toute façon indépendamment d’elle, il est décidé à dire. Cette tentation sournoise s’immisce parfois quand le prédicateur vit une déception vis à vis de sa communauté, lorsqu’il éprouve des sentiments conflictuels vis à vis d’une partie de son auditoire. Celui qui, dans un tel état d’esprit, a “quelque chose à dire aux autres” doit d’abord rechercher l’apaisement dans son rapport à la communauté. Ce risque est peut être plus fréquent dans les Églises Évangéliques sans tradition de textes liturgiques dominicaux. Les Églises suivant un lectionnaire n’en sont pas exemptes, mais le choix d’un thème ou d’un texte, privilège et responsabilité fréquents du prédicateur évangélique, expose plus immédiatement au danger d’une parole trop liée à son état émotionnel du moment et donc à un rapport ambigu à la Bible.
Revenons à l’exemple cité en introduction. Qu’une crise des offrandes affecte gravement une assemblée est un fait objectif auquel la prédication ne restera pas étrangère. Le danger réside dans le raccourci entre le problème et sa solution naïve “prêcher”, sous entendu nous connaissons déjà la solution qui est attachée à l’inconstance des fidèles. Ce raccourci souvent emprunté prive la Parole de la possibilité de conduire l’Église vers une autre réflexion et toute une autre perspective.
Dans cette problématique la présence des Écritures est pauvre dans le sermon. Elle est “pauvre” au sens où elle n’est que de surface, que circonstancielle, que rattachée non pas réellement au besoin, mais à sa solution supposée. Cela donne quant à la forme, des sermons “ricochet” où l’intention du prédicateur ricoche de citation en citation comme la pierre sur la surface de l’eau, et quant à l’esprit des sermons culpabilisants.
Sans tradition de lectionnaire(2), le prédicateur doit porter une intention de nature pastorale plus grande encore qui justifiera le choix du texte pivot de sa prédication. Dans la phase initiale de préparation du sermon, avant même que l’on puisse parler de “sermon”, quand celui-ci n’est encore qu’un projet, quand le texte biblique est considéré en lui même, celui-ci va dans un premier temps détacher le prédicateur de son intention, peut être l’en libérer, parfois jusqu’à abandonner cette intention, souvent pour mieux la servir.
Comme un garde-fou, il faut sauver cette précieuse étape initiale où le texte est lu, étudié en lui même, sans intention...