Introduction
Au soir du 16 mars 2020, le pasteur est entré dans une nouvelle ère. Il est devenu, par la force des choses, un télé-pasteur ! La caméra, la webcam ou autre objectif de son smartphone sont devenus aussi les nouveaux paroissiens pour qui il se doit d’apporter la prédication ou autre étude biblique. Il connaissait déjà généralement quelques outils numériques pour son travail quotidien – logiciels bibliques, dictionnaires, concordances, ouvrages de théologie – mais ces nouveaux compagnons l’ont rejoint, et avec eux d’autres accessoires comme le micro et les éclairages circulaires, leds, voire même parfois un fond vert. Télé-pasteur aux allures d’influenceurs, de tiktokeurs, de youtubeurs... pour le plus grand bonheur de certains, mais surtout l’insondable frustration de bien d’autres. Savoir prêcher face à une caméra est en passe de devenir l’une des compétences les plus demandées dans le CV d’un pasteur en recherche d’Église et pourtant, parler avec aisance, seul face à une caméra, n’a rien de naturel. Ce peut être même très bloquant pour des personnes qui ont pourtant habituellement de la facilité à s’adresser à un public dans une conférence ou en Église. Depuis, les cultes ont repris dans des conditions plus ou moins habituelles, mais le besoin d’intervenir face à la caméra est entré dans les habitudes et demeure donc de plus en plus souvent, que ce soit sur Internet, pour une rencontre en visioconférence ou un enregistrement vidéo.
Communauté locale et communauté numérique
Actuellement, nous utilisons Internet de cinq manières différentes. Le cyberespace est utilisé comme une source d’information, un moyen de communication, un instrument de coopération, un moyen de présentation et un outil de simulation. En termes de potentiel de simulation de quelque chose de nouveau, Internet révèle sa capacité à transcender, c’est-à-dire à traverser l’espace et le temps à l’échelle mondiale. Cependant, ce que les Églises offrent le plus souvent dans l’espace virtuel est une simple simulation de ce qui est déjà disponible dans le « réel » existant. C’est pourquoi il est nécessaire de réfléchir à comment tirer le meilleur parti de la puissance d’Internet afin de l’utiliser comme un véritable outil pour une prédication en ligne qui réponde aux critères et besoins de ce médium. La théologie protestante a tout de même réfléchi au sens et à la forme d’une prédication sur Internet qui permettrait de transcender l’espace et le temps de manière globale dès les toutes premières années du Web. Il a été rapidement reconnu que l’approche théologique de cette réalité très diverse et toujours ouverte exige une homilétique nouvelle, renouvelée, différente car la théologie dirigée vers la communauté locale de l’Église rassemblée pendant le culte ou plus largement des réunions, ne peut être utile ici que dans une mesure limitée. Les conditions extérieures de la communauté numérique et de la communauté locale sont différentes. Néanmoins, dans les deux cas, nous avons affaire à un degré d’acuité et de spiritualité. Dans les deux communautés, les conditions formelles sont remplies, même si ce n’est que partiellement : ici et là, nous avons affaire à des personnes bien informées et à d’autres qui le sont moins, à des jeunes et à des vieux, à des femmes et à des hommes, à des intellectuels et à des personnes moins cultivées, etc. Chaque prédication, même virtuelle, doit tenir compte de toutes ces individualités. Une prédication en distanciel conserve le caractère d’une prédication, le prédicateur et l’auditeur se rencontrent essentiellement dans l’espace connu et déterminé, c’est-à-dire comme dans une église, créant une communauté, certes virtuelle, mais toujours ecclésiale.
Pourtant, « en même temps » comme on aime à le dire par les temps qui courent, une spécificité, sans doute la plus forte qui soit, se situe du côté de celle ou de celui qui écoute et regarde (éventuellement). Le récepteur du message n’est pas véritablement là, présent, assis sur un banc ou une chaise au cœur de l’assemblée réunie, mais ailleurs. Le terme « ailleurs », que je choisis délibérément, montre le flou présent sur sa situation... La technologie nomade actuelle offre, en effet, maintes utilisations possibles de la vidéo. Il (ou elle) peut être chez lui, tranquillement positionné et attentif, mais aussi en action dans sa maison, préparant le repas ou vaquant à quelque autre occupation domestique. Il (ou elle) peut être à l’extérieur, dans un véhicule, en train de faire du sport (en ayant, parfois uniquement, le son dans les oreilles sans même regarder l’image). Je m’arrêterai là sur ce positionnement du spectateur, mais les possibilités sont évidemment infinies, chacune lui donnant un cadre différent qui conditionne la manière dont sera reçu le message transmis. Un auditeur assis dans une assemblée aura, lui aussi, de multiples paramètres personnels qui pourront venir influencer l’écoute mais, le lieu partagé, le fait d’être ensemble seront tout de même des facteurs communs qui rassemblent. Ces particularités évoquées offrent sans nul doute une liberté encore davantage offerte à celui qui accueille la prédication quant à sa compréhension et son interprétation.
I. La réception de la prédication
Gerhard M. Martin, théologien évangélique allemand et l’un des pères du « bibliodrame », a déclaré que l’homilétique avait besoin d’un nouveau modèle qui, selon lui, passait par un « paradigme esthétique ». C’est pourquoi il a suggéré de considérer le phénomène du sermon à travers la lentille de ce qu’on appelle l’esthétique de la réception, faisant référence à la notion d’« œuvre ouverte » (ou « en mouvement »), décrite par le célèbre sémiologue, médiéviste et romancier italien Umberto Eco (1932-2016). Comme celui-ci le précise, cette ouverture ne dépend pas de l’intention de l’auteur de l’œuvre, mais de l’approche du destinataire qui interprète l’œuvre. Selon Martin, le modèle proposé par Eco permet d’appréhender de manière plus adéquate le processus de réception d’une prédication, car il permet d’explorer la structure de ce processus, qui est par nature à multiples facettes et ouvert à une série virtuellement infinie de modes d’interprétation possibles. C’est de cette manière, dit Martin, qu’il faut considérer le processus de prédication. Au cours de sa réception par les auditeurs, « une parole pour tous » peut prendre diverses « formes » spécifiques, donnant à chacun d’eux l’occasion d’inclure dans le processus de la prédication sa...