Le baptême comme confession

Complet Le baptême

C’est le pasteur Alain Nisus, professeur assistant à la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine qui répond à l’approche présentée dans l’article précédent.

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Le baptême comme confession

Variations autour de la pensée de Beasley-Murray

Les baptistes cultivent le double paradoxe suivant : bien qu’on leur ait attribué le nom de « baptistes » en référence au rite du baptême - ils n’ont pas choisi eux-mêmes cette appellation - ils assignent cependant moins d’importance que les autres chrétiens au rite du baptême ; tout en demeurant fermes dans leur résistance à la reconnaissance de la légitimité du baptême des nouveaux-nés - fermeté qui constitue une sérieuse difficulté pour le mouvement œcuménique - ils ont curieusement relativement peu réfléchi sur la théologie du baptême. On ne peut nier que la critique de Beasley-Murray (BM) selon laquelle les baptistes ont consacré plus d’énergie à démontrer qui sont les justes récipiendaires du baptême, qu’à réfléchir sur le sens théologique du baptême, atteint bien sa cible. Il aurait pu ajouter que leurs efforts ont aussi consisté à défendre ce qui leur paraît le mode biblique du baptême, à savoir l’immersion.

C’est pour entre autres combler une telle lacune que BM s’est penché sur la question.

Il s’est exprimé sur le sujet en de nombreux articles et il a publié deux livres importants : Baptism in the New Testament (1962), ouvrage technique d’exégèse et Baptism Today and Tomorrow (1966), ouvrage qui a plutôt une visée de vulgarisation de bon niveau.

BM est un exégète respecté, dont les travaux sur le baptême sont bien connus, au-delà (peut-être surtout au-delà !) de la tradition baptiste. Il a eu une certaine influence sur nombre de théologiens baptistes de sa génération, influence qui persiste aujourd’hui encore. On ne peut donc pas en tant que baptiste, ignorer sa pensée.

C’est pourquoi nous ne pouvons qu’être reconnaissant à A. Cross pour cette belle et fidèle synthèse qu’il nous fournit de la pensée de BM.

A. Cross a lui-même beaucoup réfléchi sur la question du baptême. Il a rédigé une thèse de doctorat en 1997 sur la compréhension du baptême comme sacrement dans la théologie baptiste du 20ème siècle en Grande-Bretagne. Il a donc une connaissance approfondie de BM, dont il s’évertue à faire fructifier l’héritage. Il aurait été intéressant de débattre de ses thèses propres mais nous ne le pourrons pas, compte tenu des limites de cet article. Signalons néanmoins notre perplexité devant une forte thèse que défend ce théologien baptiste. Selon lui, et ceci contre BM même, les héritiers des baptistes ont commis une erreur, en affirmant que leurs ancêtres étaient universellement non sacramentalistes voire anti-sacramentalistes. Cross s’efforce de prouver que l’on peut trouver tout au long de l’histoire baptiste, du 17ème au 20ème siècle, des représentants baptistes qui avaient intégré une vision sacramentaliste dans leur compréhension du baptême(1).

Le présent article de Cross étant une présentation sympathique des thèses de BM, c’est la pensée de ce dernier que nous discuterons dans les lignes qui suivent.

Signalons d’emblée notre point de vue : si nous approuvons BM dans sa dénonciation de la pauvreté d’une certaine présentation du baptême par les baptistes, nous contestons en revanche l’interprétation sacramentaliste (modérée) qu’il propose des textes du NT relatifs au baptême.

En effet, BM a raison d’affirmer que le baptême biblique n’est pas une pure formalité que le croyant doit accomplir par obéissance au commandement du Christ(2) ; dans le Nouveau Testament, le baptême n’est pas uniquement « un symbole magnifique et éloquent de certains faits de la mission rédemptrice de notre Seigneur »(3) ; il n’est pas non plus réduit au rang de simple « témoignage » dans la vie du croyant, d’un engagement passé. Le sens biblique du baptême est en effet quelque peu émoussé quand il devient un acte que l’on décide d’accomplir, après des années de conversion et de vie chrétienne. L’idée du « conversion-baptism » que défend BM, c'est-à-dire une compréhension du baptême comme partie intégrante de la conversion, comme moment suprême dans la vie du croyant où celui-ci s’abandonne au Seigneur, a de solides fondements bibliques.

BM touche un point sensible en effet quand il dénonce l’ajournement du baptême chez les baptistes. Dans le NT, il semble bien que le baptême est l’expression première et décisive de l’engagement de la foi, il est étroitement uni à la conversion, il en est l’achèvement plutôt que le témoignage ultérieur. Sur ce point, J. Dunn qui parle quant à lui de « conversion-initiation », rejoint les conclusions de B M. Dunn critique lui aussi les baptistes et pentecôtistes qui séparent trop le baptême et la conversion. Leur pratique du baptême les conduit selon lui à faire de ce rite « pas beaucoup plus que la confession d’un engagement passé », s’écartant de la sorte du modèle du Nouveau Testament, où l’on perçoit la simultanéité du baptême et de l’acte de foi, le baptême étant l’expression, l’actualisation de la foi, le véhicule de la foi qui sauve(4).

À ce niveau ces auteurs touchent juste. Cependant, on peut se demander s’ils ne forcent tout de même pas quelque peu le trait, quand ils attribuent au baptême en général ce qui a été manifestement vrai pour les premiers convertis du livre des Actes(5). Pour ces derniers en effet, l’acte de foi, la réception de l'Esprit, le baptême d’eau ont été pratiquement simultanés. Leur baptême était alors l’expression de la foi qui saisit la grâce plutôt qu’une expression de la grâce déjà reçue. Mais cette situation idéale ne s’est probablement pas prolongée avec le surgissement de fausses doctrines ou l’arrivée dans l’Église de convertis mal ou peu enseignés. Très tôt dans l’histoire de l’Église, le baptême a été différé, le catéchuménat a été institué, ce qui implique un écart entre la naissance à la foi et l’acte baptismal.

De plus, si l’on accepte de dire avec Dunn que le baptême est expression de la foi, même immédiate, il faut admettre une priorité logique et même chronologique de la foi(6). Au demeurant dans notre contexte, en tout cas en France, le soupçon sectaire pèserait fort sur un groupe qui baptiserait trop rapidement ! Les accusations de « lavage de cerveau », « d’embrigadement sectaire », de « manipulation émotionnelle », etc. seront certainement déployées devant une telle pratique. Le baptême étant une décision qui entraîne des conséquences sociales, et parfois familiales, importantes implique qu’elle soit prise de façon réfléchie, en toute connaissance de cause et pas seulement sous le coup de l’émotion. On ne peut donc pratiquement pas faire l’économie d’un certain ajournement, pourvu que le baptisé ait conscience que la grâce confessée au baptême est un événement toujours actuel, que la confession baptismale se fait au présent (et pas seulement au passé). En se faisant baptisé, on ne dit pas simplement « j’ai reçu la grâce », mais « je la reçois » tout à nouveau.

Ce délai de réflexion est encore plus nécessaire pour celui qui aurait subi l’aspersion rituelle en tant que nourrisson : il est juste qu’il soit informé de la douleur que ressentent les autres face à ce qu’ils estiment être un « re-baptême » et les raisons pour lesquelles les baptistes se sentent contraints de « passer à l’acte », malgré les difficultés œcuméniques que cela suscite. Tout cela nécessite un délai, un cheminement : nous sommes malheureusement loin de la situation privilégiée du livre des Actes, notre pastorale du baptême doit s’adapter à un contexte qui a changé.

Si nous sommes d’accord, avec quelques nuances, sur l’idée du « conversion-baptism », nous ne sommes en revanche pas convaincu par la compréhension sacramentaliste que BM propose du baptême.

Dunn montre qu’il est possible d’affirmer une concomitance du baptême et de l’acte de foi, sans toutefois opter pour une interprétation sacramentaliste du baptême. En effet, il peut maintenir simultanément que : « administré dans de bonnes conditions, le baptême d’eau était le point culminant et la mise en œuvre de la foi, l’expression de la repentance et le véhicule de l’engagement »(7) et « il est erroné de dire que le baptême d’eau communique, confère ou effectue le pardon des péchés. Il peut symboliser la purification, mais ce sont la foi et la repentance qui reçoivent le pardon et le Saint-Esprit qui le communique, l’accorde et le rend effectif. Luc ne mentionne jamais le baptême d’eau en lui-même comme la condition ou le moyen de recevoir le pardon ; il ne le mentionne qu’en connexion avec une autre attitude (la repentance ; Lc 3.3 ; Ac 2.38) ou une autre action (l’invocation du nom du Seigneur ; Ac 22.16). Alors que le baptême d’eau n’apparaît jamais comme la seule condition pour recevoir le pardon, Luc parle par contre plusieurs fois de la repentance ou de la foi comme la seule condition requise (Lc 5.20 ; 24.47 ; Ac 3.19...) »(8)

Dans le reste de son ouvrage, Dunn procède tout aussi énergiquement à la réfutation de l’interprétation sacramentaliste des autres textes du NT.

Mais qu’entendons-nous par « sacramentalisme » ou « interprétation sacramentaliste » au juste ? Le sacramentalisme c’est l’attribution au sacrement d’une fonction de cause instrumentale dans la communication de la grâce. Il est non seulement un medium de la grâce, mais de plus, il est compris comme un signe efficace dans la mesure où il communique la grâce qu’il signifie(9). Dans une telle perspective, le sacrement est compris comme œuvre de Dieu. Comme le dit Blocher : « c’est l’affirmation du baptême comme œuvre de Dieu, moyen de sa grâce que nous voyons au cœur du sacramentalisme »(10). Ainsi, le baptême, en tant qu’œuvre de Dieu, communique le pardon des péchés et le Saint-Esprit.

Le sacramentalisme est généralement rejeté non seulement par les baptistes, mais encore par les évangéliques dans leur grande majorité. On peut se reporter à la critique que fait l’Alliance Évangélique Mondiale (le WEF) au texte dit de Lima, le BEM : l’un des griefs importants que retient la commission théologique contre ce texte est précisément son « sacramentalisme »(11) ! Soyons clair : la compréhension que propose BM demeure une théologie baptiste du baptême, son sacramentalisme reste relativement modéré(12) :

- Il souligne l’exigence de la profession de foi du baptisé (mais combinée avec l’idée d’une certaine efficacité causative dans la communication de la grâce). Il voit dans le baptême une conjonction de l’action de Dieu et de la réponse de l’homme. C’est pourquoi il retient deux sens du mot sacrement qui lui semblent en accord avec l’enseignement du NT. Le sacrement en tant que « moyen de grâce » est œuvre de Dieu, et en tant que sacramentum, serment d’engagement, il est réponse de l’homme, selon 1 P 3.21. L’interprétation qu’il propose est un essai de tenir en tension une compréhension du baptême comme sacrement et symbole. Il résume sa position à l’aide d’une citation de C.T. Craig : « Sacrement et symbole doivent être tenus ensemble. Là où l’on met l’accent sur le don objectif, il y a toujours le danger de tomber dans une mauvaise interprétation d’une opération automatique. Là où l’on met l’accent sur la nature symbolique, la tendance est de considérer le baptême comme un additif superflu qui n’apporte rien d’important. Une vision complète du baptême tiendra ensemble symbole et sacrement, et ne dissoudra pas l’un dans l’autre »(13).

- Il affirme le caractère invalide du baptême des nourrissons(14) .

Tout en reconnaissant que l’immersion est le mode biblique, il soutient avec sagesse : « là où le baptême a été administré à un croyant, sur profession de foi dans le Christ, il devrait être reconnu sans réserve, quelle que soit l’Église et quel que soit le mode d’administration. C’est l’unique baptême de l’Église apostolique, et il n’est pas affecté par la quantité d’eau qu’on y emploie »(15).

Cependant, BM conteste la priorité accordée par les baptistes au baptême comme « moyen de confession » et la subordination des autres significations à cette idée. Pour lui, l’aspect « confession » est second dans la signification du rite baptismal.

Nous pensons exactement le contraire : il convient d’affirmer la priorité d’une compréhension du baptême comme « confession » et ensuite, par ricochet, il est possible de récupérer les autres significations qui sont alors secondes !

Même si l’auteur défend un sacramentalisme modéré, il nous semble que son interprétation des textes du NT est contestable.

Cross signale bien que selon BM, c’est l’exégèse des textes du NT qui l’a conduit à ce type d’interprétation et non un a priori dogmatique. Nous ne pouvons pas discuter l’interprétation qu’il propose des différents textes du NT, nous renvoyons le lecteur à la réfutation que fournit Karl Barth(16), mais surtout James Dunn (ces deux auteurs n’appartiennent pas à la tradition baptiste). Dunn est particulièrement utile, car en dialogue avec de nombreux auteurs, dont BM, il conteste à de nombreuses reprises, de manière efficace à notre avis, leur exégèse sacramentaliste. Cross synthétise les développements de BM à l’aide d’un tableau qui met en parallèle les dons promis indifféremment à la foi ou au baptême. Ce tableau pourrait impressionner et conduire à une interprétation sacramentaliste du baptême, mais une étude plus approfondie permet de rompre le charme d’une telle présentation.

a) on peut contester que certains textes allégués fassent référence directement au baptême. Citons quelques exemples.

• Jn 3.5 est souvent cité par les sacramentalistes pour soutenir la thèse de la « régénération baptismale ». Mais faut-il voir une référence au baptême dans ce texte ? Déjà Calvin, considérant le contexte dans lequel se situe ce passage, avait vu qu’il ne s’agissait pas du baptême : « or, quant au présent passage, on ne saurait me faire accroire que le Christ parle du baptême ; car cela n’eût pas été bien à propos… c’est donc une sentence simple : qu’il faut que nous naissions derechef, afin que nous soyons de Dieu, et que le Saint-Esprit est auteur de cette seconde régénération ». Il avait aussi perçu que l’on pouvait voir un hendiadys dans la formule « d’eau et d’Esprit » : « … l’eau n’est autre chose que la purification intérieure et l’inspiration de vigueur, qui se font par le Saint-Esprit. De plus, ce n’est point une chose nouvelle que le mot et se prenne pour c'est-à-dire ; à savoir quand le membre de phrase subséquent est la déclaration du précédent… »(17). Si l’on admet l’historicité du discours - c'est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une reconstruction de l’Église primitive ou du rédacteur de l’évangile - Jésus ne peut pas en effet se référer au baptême « chrétien », Nicodème, docteur d’Israël, aurait dû comprendre, Jésus lui en fait d’ailleurs le reproche (cf. v.10), qu’il faisait allusion à certains passages de l’AT, où l'Esprit et l’eau sont associés, comme par exemple Éz 36.25-27, pour désigner la purification du pécheur.

• 1 Co 6.9-11 : on peut légitimement contester, comme le fait le brillant exégète Gordon Fee, que ce texte fasse allusion au baptême. Paul ferait référence plutôt à l’œuvre du salut, au pardon des péchés accordé à la foi en Christ. Fee fait remarquer que les trois métaphores qu’utilise Paul mettent l’accent sur des aspects de la conversion que l’on trouve dans les termes théologiques comme régénération, sanctification et justification, et que pour Paul, ils sont œuvre de l'Esprit dans la vie du croyant et non le résultat du baptême(18).

• Tt 3.5 : n’est pas non plus une référence au baptême (c’est le mot loutron qui est utilisé). Il s’agit du baptême du Saint-Esprit, comme Dunn l’a établi(19). Il en est de même pour 1 Co 12.13 : il ne s’agit pas du baptême d’eau, mais du baptême du Saint-Esprit(20).

b) L’auteur en attribuant au baptême d’eau la communication de l'Esprit(21) a tendance à confondre le baptême d’eau et le baptême du Saint-Esprit. Il ne prend pas suffisamment en compte l’avertissement qu’il cite lui-même, de Gerhard Kittel, le fameux exégète luthérien qui a dirigé le dictionnaire théologique du NT qui porte son nom : « la principale erreur m’apparaît se situer dans le fait que l’on ne pose pas une distinction assez nette entre le baptême d’eau et le baptême d’Esprit. Il n’est jamais affirmé dans le NT que le baptême d’eau procure le Saint-Esprit, qu’il mortifie le péché ou qu’il entraîne d’autres changements spirituels. Partout il apparaît être une preuve extérieure qu’une transformation intérieure a été accomplie dans l’homme »(22). De même, Karl Barth, même si nous ne partageons pas entièrement son interprétation du baptême du Saint-Esprit, voit parfaitement juste quand il signale que ce que les sacramentalistes attribuent au baptême d’eau devrait en fait s’appliquer au baptême du Saint-Esprit, qui est l’œuvre du Christ (le baptême étant une œuvre humaine) :

« Certains termes, très déplacés quand ils désignent la décision humaine en général et le baptême d’eau en particulier, sont au contraire parfaitement justes et nécessaires lorsqu’ils décrivent le baptême d’Esprit : ce sont les adjectifs effectif, causatif et créatif ; le baptême d’Esprit seul est une action divine que l’on peut qualifier ainsi. C’est vraiment à propos de lui qu’il serait possible et permis de parler, s’il le fallait, d’un événement « sacramentel » au sens courant du mot : il purifie, renouvelle et transforme réellement et totalement. Quelle que soit la position que l’homme prenne à son sujet, quoi qu’il en fasse et en retire - le baptême d’Esprit est (rappelons-nous les descriptions du NT !) l’acte par lequel il est revêtu du vêtement neuf qui est Jésus-Christ lui-même, l’acte par lequel il reçoit un autre cœur, régi par Jésus-Christ, sa régénération et sa nouvelle naissance qui font de lui le frère de Jésus-Christ, sa mort salutaire dans la mort même que Jésus-Christ a subie aussi pour lui : tout cela devant être compris dans un sens, non pas symbolique ou figuratif seulement, mais bien tout à fait réaliste. Parce que cette conversion divine a lieu dans sa vie, parce qu’il a été baptisé du Saint-Esprit, l’homme doit être interpellé avec le plus grand sérieux en fonction du changement qui s’est produit ainsi en lui : il est, à partir de là, un homme véritablement transformé par l’action de Dieu en lui et sur lui. »(23)

Citons encore James Dunn : « bien que le baptême d’eau soit un élément important dans le processus de conversion-initiation, il ne doit jamais être identifié ou confondu avec le baptême d’Esprit ; on ne doit pas non plus lui attribuer la part prééminente dans cet événement complexe (…) le baptême d’Esprit est clairement distinct du baptême d’eau et lui est même antithétique (…) la confusion du baptême d’eau avec le baptême d’Esprit implique inévitablement la confusion de l’eau avec l'Esprit, si bien que l’administration du baptême d’eau ne devient rien d’autre que la communication de l'Esprit »(24).

c) il est possible d’attribuer au signe lui-même, dans un langage non strictement systématique ou dans le langage courant, ce qui appartient rigoureusement au signifié. Le signe usurpe ainsi le nom du signifié. L’exemple classique est celui de l’anneau que l’on porte au doigt qui s’appelle une alliance (l’anneau n’est pas l’alliance, mais signifie l’alliance qui est l’engagement solennel pris par les époux).

Comme le dit Dunn « on peut promettre le pardon des péchés à celui qui sera baptisé uniquement parce que son baptême est l’expression de sa repentance »(25). C’est ainsi que l’on peut interpréter Ac 22.16, « l’autre verset favori des sacramentalistes … la purification des péchés est réalisée (pour ce qui est de la part de l’homme) non par l’eau mais par l’invocation du nom du Seigneur. Ce n’est pas le rite lui-même mais l’attitude et l’engagement (auxquels le rite donne l’occasion de se manifester) qui établissent le contact décisif avec le Seigneur qui, à son tour, a pour résultat la purification »(26)). Il est vrai que le texte d’Ac 2.38 peut supporter une lecture sacramentaliste, mais la purification des péchés et le don de l'Esprit sont-ils promis au baptême en tant que tel, en tant que rite ou plutôt à la foi qui s’exprimera dans le baptême(27) ? On peut en dire de même du texte bastion des sacramentalistes Ga 3.27.

Paul veut-il forcément dire que le revêtement du Christ est l’effet du baptême ou veut-il plutôt dire que le fait d’être baptisé démontre que l’on a revêtu le Christ ? C’est comme si l’on disait à quelqu’un « vous portez une alliance au doigt, vous êtes donc mariés ! ».

Richesse d’une conception du baptême comme « confession »

La conception du baptême comme engagement et comme expression ou confession de la foi qui saisit la grâce, est considérée comme une vision pauvre du baptême. Tout l’effort de BM consiste d’ailleurs à revaloriser le baptême en luttant contre une compréhension qu’il juge appauvrissante, à savoir le baptême comme « un symbole magnifique et éloquent »(28).

Cependant, il nous semble qu’une juste compréhension du baptême comme confession est beaucoup moins pauvre qu’on ne le pense. H. Blocher(29) a mis en valeur la richesse d’une telle interprétation, ainsi que le très prometteur théologien croate, Miroslav Volf(30).

Le baptême est dans une telle perspective « confession » publique et solennelle, par le symbolisme corporel, de la foi. 1 P 3.21, qui est selon Dunn « ce qui se rapproche le plus d’une définition »(31) du baptême dans tout le NT, ne situe pas le baptême d’eau dans le trajet de la grâce de Dieu vers l’homme, comme son véhicule, mais plutôt dans le trajet de l’engagement de l’homme vers Dieu comme son véhicule(32). Ainsi, le baptême n’est pas d’abord, selon la formule frappante de Blocher, « un moyen de grâce », mais un « moyen d’action de grâces »(33). Ce théologien baptiste français montre qu’une telle position, loin de léser la grâce la met au contraire en valeur, de plus elle assigne un rôle propre au sacrement qui ne fait pas concurrence avec la parole. Au demeurant, elle a le grand mérite de faire droit à la conception réformée du baptême et à la notion de moyen de grâce.

« Une fois le baptême compris comme le véhicule de l’engagement de la foi, la confession par le corps, la théologie réformée, libérée de toute équivoque, trouve d’ailleurs une place convenable. En effet, la confession redit la Parole de Dieu, qui est le moyen de grâce : par ricochet, le sacrement est donc aussi parole visible, moyen de grâce. D’autre part, c’est bien Dieu, par son Esprit accompagnant la Parole, qui opère ce que figure le baptême - le Christ baptise, mais d’Esprit. Et si Dieu agit avant le baptême d’eau, pour faire naître la réponse même, il ne cesse pas d’agir pendant et après : ce que nous rappelons en soulignant dans la confession baptismale une confession au présent. Ce que l’Écriture et la liberté de la grâce interdisent, c’est de lier l’œuvre divine, fût-ce à titre ordinaire ou tendanciel seulement, au baptême d’eau : l’essentiel de celui-ci, quant au salut, est "l’engagement d’une bonne conscience envers Dieu" »34.

Ainsi compris, la fonction du baptême n’est pas de nous procurer la grâce, mais il est aussi, à titre secondaire, comme corollaire, « par ricochet », moyen de grâce. Étant donné que le baptême est une confession qui nous fait à nouveau entendre la parole, que le candidat dit au présent « je reçois » la grâce de Dieu qui est toujours une actualité. En se faisant baptiser, on entend à nouveau la Parole de Dieu, on peut donc recevoir de façon nouvelle ou renouvelée la grâce que porte la Parole.

N’est-ce pas une façon riche de comprendre le baptême qui est en accord avec l’Écriture ?

Auteurs
Alain NISUS

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1.
Nous n’avons malheureusement pas encore eu accès au livre de Cross, Baptism and the Baptists : Theology and Practice in Twentieth-Century Britain. Paternoster Biblical and Theological Monographs, Carlisle, 2000, mais nous connaissons le résumé commode qu’il en fait dans l’article « Dispelling the Myth of English Baptist Baptismal Sacramentalism », in Baptist Quarterly 38, 2000, 367-391. La discussion mériterait d’être approfondie, mais signalons que l’auteur est loin de nous avoir convaincu. En effet, les témoins « sacramentalistes » qu’il exhibe ne sont généralement pas des leaders qui ont façonné la pensée baptiste. Ni la grande majorité des confessions de foi baptistes, ni les théologiens baptistes d’envergure des 17 ou 18ème siècle n’ont été nettement sacramentalistes. Cross signale bien l’opposition des « poids lourds » qu’ont été John Gill et Abraham Booth au sacramentalisme (ces auteurs, Booth surtout, ont particulièrement écrit sur la question du baptême). Son traitement d’Andrew Fuller nous a laissé insatisfait : celui-ci nous semble plus clairement opposé au sacramentalisme que ne semble le dire Cross, même si l’on peut trouver chez lui quelques formules parfois embarrassées. J.M. Ross a montré qu’on ne pouvait pas trouver de précédent au sacramentalisme chez les baptistes avant 1925, dans son article « The Theology of Baptism in Baptist History », The Baptist Quarterly 15, 1953, 100-112, cf. Bealsey Murray, Baptism Today and Tomorrow, p.15.
2.
Même si l’on doit respecter ce désir d’obéissance : c’est d’abord pour obéir au commandement du Seigneur que son Église baptise.
3.
Selon le baptiste américain E.E. Neighbour, cf. Baptism Today and Tomorrow, p.14.
4.
D.G. Dunn, Baptism in the Holy Spirit : A Re-examination of the New Testament Teaching on the Gift of the Spirit in Relation to Pentecostalism Today. Londres, SCM Press, 1970, p.227.
5.
Voir la démonstration de Dunn, dans Baptism, p.96ss. On trouve une traduction française du chapitre 9 de l’ouvrage de Dunn, dans la revue Hokhma 5, 1977, 21-35.
6.
Nous devons cette remarque à H. Blocher.
7.
Baptism, p.97 (p.29 de la revue Hokhma).
8.
Ibid.
9.
cf. la définition du sacramentalisme proposée par l’Alliance Evangélique Mondiale (WEF) dans sa réponse au BEM, publiée in Evangelical Review of Theology 13, 1989, p.312 : le sacramentalisme suppose que « les sacrements sont des signes efficaces, qui transmettent la grâce qu’ils signifient, et que la grâce est communiquée en vertu du rite ».
10.
“Le baptême comme engagement selon la Première Épître de Pierre (3.21) », dans Esprit et vie. Hommage à Samuel Bénétreau. Cléon d’Andran, Exelcis et Vaux-Sur-Seine, Edifac, 1997, p.26.
11.
« An Evangelical Response to Baptism, Eucharist and Ministry”, Evangelical Review of Theology 13, 1989, 291-313. La critique évangélique du sacramentalisme est bien mise en évidence par G. Vandervelde, dans son article “Ecclesiology in the Breach : Evangelical Soundings”, ERT 23, 1999, p.34s.
12.
Il s’oppose très nettement à une interprétation fortement sacramentaliste (« advanced sacramentalism ») de certains exégètes, tels R. Bultmann : cf. Baptism Today and Tomorrow, p.20.
13.
Baptism Today and Tomorrow, p.23-24.
14.
Baptism Today and Tomorrow, p.148ss. Après une longue discussion des thèses pédobaptistes, il conclut, p.156 : “… je parviens à une conclusion hautement impopulaire … le baptême de nourrisson n’est pas le baptême dont parle les documents du Nouveau Testament. Qu’il accomplisse des fonctions utiles et incarne des vérités valables ne peut pas être nié, mais sa fonction est alors différente de celle que les auteurs du Nouveau Testament attribuent au baptême .» (italique dans le texte)"
15.
Baptism Today and Tomorrow, p.166.
16.
Lequel fait un véritable d’effort d’exégèse systématique : Dogmatique IV/4, trad. Par F. Ryser, Genève Labor et fides, 1969, pp. 117-132.
17.
Nous citons le commentaire de l’Évangile de Jean de Calvin d’après le texte établi par M. Réveillaud, Aix-en Provence, Kerygma et Fontenay-sous-Bois, Farel, 1978, p.75ss. Citons pour mémoire, une déclaration du concile de Trente à propos de l’interprétation de ce texte, dans la 7ème session, canons sur le sacrement du baptême, n°2 : « si quelqu’un dit que l’eau vraie et naturelle n’est pas chose nécessaire pour le baptême et si, en conséquence, il détourne le sens d’une métaphore les paroles de notre Seigneur Jésus-Christ : qu’il soit anathème ! » (cité d’après Les conciles œcuméniques. Le magistère de l’Église, t.II**, De Trente à Vatican II, s/dir de G. Alberigo, Paris, Cerf, 1994).
18.
G. Fee, The First Epistle to the Corinthians, NICNT, Grand Rapids Michigan, Eerdmans, 1987, p.247.
19.
Baptism, p.168ss
20.
Signalons que Dunn, est souvent critiqué par des exégètes « sacramentalistes » pour son interprétation de 1 Co 12.13 (cf. par exemple les critiques que lui adresse Max-Alain Chevallier, « Baptême et don de l'Esprit d’après le Nouveau Testament », in L’expérience de Dieu et le Saint-Esprit. Immédiateté et médiations. Coll Le point théologique 44, Paris, Beauchesne, 1985, 83-117). Cependant, il a reçu un renfort de poids en la personne de l’exégète catholique J.P. Lémonon (dans l’article « Saint-Esprit » du Supplément au Dictionnaire de la Bible, Paris, Letouzey et Ané, 1991, vol. XII, col. 233) qui s’accorde avec lui pour une interprétation métaphorique du verbe « baptiser » en 1 Co 12.13. Ce même exégète confesse qu’« aucune donnée du corpus paulinien ne permet de dire que, dans les épîtres, esprit et eau du baptême sont liés… A contrario, deux textes nous invitent à ne pas comprendre le baptême comme l’occasion du surgissement de l’esprit. Quand Paul explicite sa pensée sur le baptême (Rm 6,3ss.), ensevelissement dans la mort du Christ pour une vie nouvelle, il ne fait pas allusion à l’esprit. D’autre part, en 1 Co 1.13b-17, l’apôtre caractérise sa mission par l’annonce de l’évangile et non point par l’activité baptismale ; or, étant donné la place que Paul accorde à l’esprit dans la vie de la communauté, il est difficile d’imaginer un temps sans esprit » (col.270).
21.
Avec quelques nuances cependant, cf. son analyse plus développée dans Baptism in the New Testament, p.104ss ; p.107 : « naturellement, Dieu ne lie pas la communication de l'Esprit au rite du baptême, pas plus qu’Il ne lie Ses autres dons au baptême ni à aucun autre rite … »
22.
« Die Wirkungen der christlichen Wassertaufe nach dem Neuen Testament », cité par BM, in Baptism Today and Tomorrow, p.16.
23.
Dogmatique, IV, p.36
24.
Baptism, p.4, 5, 6. Il est vrai que parfois on peut être tenté de voir le baptême d’Esprit dans certains textes qui parlent du baptême d’eau. Dunn fait cette confusion en ce qui concerne Ga 3.27-28.
25.
Baptism, p.98 (dans Hokma, p.30).
26.
Baptism, p.98 (dans Hokhma, p.30
27.
Signalons qu’un des moyens pour contourner cette difficulté, est de comprendre le baptême non pas comme le rite lui-même, mais comme le processus, l’ensemble de l’initiation chrétienne. J. Dunn montre bien que dans le NT, le mot baptême se réfère au rite et non à l’ensemble du processus, Baptism, p.6. Le théologien catholique Yves Congar le lui reproche : cf. son Je crois en l'Esprit Saint, t.2, Paris, Cerf, 1979, p.249s.
28.
Baptism today and tomorrow, p.14
29.
L’auteur devrait très bientôt publier un ouvrage consacré à l’ecclésiologie et aux sacrements. Il a néanmoins indiqué certains éléments de sa pensée dans son article « Le baptême comme engagement selon la Première Épître de Pierre (3.21) », dans Esprit et vie. Hommage à Samuel Bénétreau. Cléon d’Andran, Exelcis et Vaux-Sur-Seine, Edifac, 1997, 15-30.
30.
Cf. son After Our Likeness. The Church as the Image of the Trinity. Grand Rapids Michigan, Eerdmans, 1998, p. 153 : “… les sacrements peuvent être des conditions essentielles d’ecclésialité uniquement s’ils ont la forme d’une confession de la foi et d’une expression de la foi. C’est en effet le cas… ils sont des représentations publiques d’une telle confession… »
31.
Baptism, p.145
32.
cf. Dunn, Baptism, p.26 et Blocher, Le baptême comme engagement, p.26.
33.
Ibid, p.27.

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