Andy McCullough
Éditions Excelsis – Association Élan, 2018, 319 p., 16 €.
Le livre d’Andy McCullough traite foncièrement de la rencontre avec « l’autre », le prochain, en particulier lorsque des barrières culturelles de toute sorte pourraient rendre difficile la relation. Le sous-titre évoque le témoignage, et il est sûr que les missionnaires et autres évangélistes sont concernés en premier lieu. L’auteur met d’ailleurs largement à profit son expérience d’implantation d’Églises en contexte transculturel, que ce soit en Europe ou bien plus loin de chez lui. Britannique, McCullough est attaché à l’Union d’Églises NewFrontiers (en francophonie Nouvelles Frontières), au sein de laquelle il œuvre en particulier dans l’association Unreached. L’idée est donc bien d’aller vers l’autre dans le contexte d’un témoignage ou d’un ministère dont la relation est « l’outil » principal. Mais il faut reconnaître qu’à un niveau plus fondamental, la lecture fonctionne aussi pour tout chrétien qui se préoccupe de la relation avec celui ou celle qui est différent de soi.
L’humilité est le mot-clé de la démarche, qui se décline notamment sur le plan de la morale, du dialogue, sur les plans de la sémantique et de la différence culturelle, et sur le plan de la théologie. Sur le plan moral, le livre commence par mettre en lumière tout ce qui empêche l’entrée en relation, par exemple l’ethnocentrisme, la condescendance ou l’excès de certitudes. Les certitudes que nous avons concernant le lendemain en contexte occidental, par exemple, n’ont rien à voir avec celles que l’on a dans d’autres pays. L’auteur raconte :
« Quand j’habitais Pune, en Inde, je connaissais un frère qui, tous les matins, faisait de Psaumes 3.6 sa prière : ‘Je me suis couché et je me suis endormi. Je me suis réveillé car l’Éternel me soutient.’ (Bible synodale) – et il le pensait ! J’ai entendu Andrew White, ancien pasteur à Bagdad, évoquer le nombre de membres de sa communauté qu’il devait enterrer chaque année. La vie est une vapeur, et l’impossibilité de prévoir est la réalité quotidienne de millions de personnes sur notre planète. » (p.53)
Sur le plan du dialogue, l’auteur invite à ne pas oublier de situer l’autre dans son contexte et dans son histoire. Il évoque, dans le dialogue avec les musulmans, la place que peut occuper la question des croisades, pourtant bien ancienne ; ou, dans d’autres contextes, la mémoire de l’esclavage qui bloque certaines initiatives ; ou la mémoire du génocide arménien, qui demeure une souffrance constitutive de l’identité arménienne. Là où certains Occidentaux n’existent qu’au présent. « Penser que mon point de vue est LE point de vue, c’est une arrogance inouïe. » (p.97)
Sur le plan sémantique, l’auteur aborde la question des langues, élément clé de la culture. Il valorise la diversité, qui fait partie du projet de Dieu pour l’humanité, tout en notant la difficulté de la différence. Vivre l’Église avec des chrétiens différents de soi, notamment sur les plans linguistique et culturel, « oblige à être créatif. À composer des cantiques. À repenser le style et la structure de la vie de l’Église. À s’interroger sur tout ce qu’on pensait savoir sur l’Église » (p.119). L’Évangile n’existe pas dans une seule version : on peut le « traduire » pour qu’il soit reçu par toutes sortes de personnes. Sur le plan culturel, le livre évoque aussi, naturellement, la différence entre les cultures qui valorisent l’individuel et celles qui valorisent le collectif, ou la différence entre la honte et la culpabilité, notions sans la compréhension desquelles d’immenses incompréhensions sont possibles. Les chapitres sur les différentes perceptions de l’autorité méritent en particulier une lecture attentive.
Enfin, sur le plan théologique, l’auteur évoque la force des récits et leur capacité à parler à tous, de même pour les métaphores. Mais finalement, il pose cette question très intéressante : quel est le rapport entre notre expérience et notre théologie ; notre expérience de vie dans un contexte donné, dans une culture donnée et les convictions que nous nous forgeons ; le système théologique que nous construisons ? Réponse : la théologie est un art qui nécessite à la fois réflexion et pratique.
En résumé, En toute humilité est un livre dans lequel les questions pertinentes ne manquent pas, ni les remises en question. Les réponses (humbles) apportées sont nourries de données bibliques, de l’apport d’autres auteurs ou courants de pensée (théologie, missiologie, postcolonialisme, littérature…), et les références culturelles, on l’a compris, sont nombreuses (Ukraine, Inde, Iran, États-Unis, etc.). De ce point de vue, le livre lui-même, facile à lire et très prenant, est un modèle d’humilité : il montre tout ce que l’on peut apprendre des autres.