Jésus est le prince de la paix, et depuis qu’il est venu, cela a commencé. Cela, c’est son règne, mais aussi son mode inimaginable, pour nous humains, et tellement particulier, de conquête des relations perturbées.
Au début de son Discours sur la montagne Jésus s’est écrié : « Heureux les faiseurs de paix(1) » ou « Heureux ceux qui font œuvre de paix ». Et il a poursuivi : « Ils seront appelés fils de Dieu ». C’est à dire qu’on reconnaîtra dans leurs actes de faiseurs de paix les marques de famille de Dieu lui-même. Jésus, dans son œuvre, ses paroles et ses actes est le portrait d’un faiseur de paix. Et à travers lui, la grâce nous est faite d’exprimer aujourd’hui encore quelque chose du Dieu aimant et passionné de réconciliation. La paix, c’est le shalom, c’est collectif, c’est la paix juste. La paix n’est pas seulement quelque chose d’individuel, mais cela a à faire avec le vivre ensemble dans la bienveillance. La paix à faire (notez le verbe) n’est pas qu’intérieure ou pour l’au-delà, ou encore réservée à un charisme qui serait particulier. Le Christ est intervenu pour que cette dimension nous touche également de notre vivant, nous, membres de l’Église de Jésus-Christ, dans l’attente de sa pleine réalisation.
Je me souviens de ces paroles de ce chirurgien chrétien, le Dr. Hans Bernath, qui avait travaillé durant 42 ans à l’hôpital de Nazareth en Israël, dont 20 ans comme directeur de cet établissement. Il disait en l’an 2000 : « En 42 ans, je n’ai jamais entendu prêcher sur la réconciliation. » C’est tout de même incroyable, non ? C’est aussi lui qui a dit ces paroles lourdes de sens, ayant assisté durant 42 ans aux événements autour de Nazareth : « Avec des armes on gagne des guerres, mais on ne gagne pas la paix. »
L’un des objectifs des cultes chrétiens est certes la prière et l’adoration, ainsi que la communion avec le Christ et les uns avec les autres, mais c’est aussi l’écoute de la Parole du Christ. Et par conséquent la formation du caractère chrétien. La formation à l’action juste. Pour cela nous comptons sur l’assistance de l’Esprit promis pour nous accompagner dans cette démarche.
La réception initiale de l’Esprit dans nos vies, vous l’aurez constaté, ne nous délivre néanmoins pas magiquement de nos anciens schémas de comportement. Et c’est vrai surtout devant l’agression. Nous sommes comme tous nos compatriotes sujets à la peur, à la colère et nous avons à faire avec nos propres violences intérieures. Nous sommes catéchisés par nos peurs de l’insécurité, plus que nous ne le croyons. Et c’est vrai pour chacun d’entre nous. Les attentats de New-York, de Paris et de Bruxelles et l’incertitude sécuritaire nous catéchisent, nous également.
Nous nous projetons volontiers dans celles de victimes potentielles : leur sentiment de colère, d’outrage, d’insécurité. Le réflexe ancien, et largement promu par les politiques de nos pays, est le désir de les éliminer de son monde : l’exclusion de l’autre qui me menace, par la déportation, la liquidation, la pulvérisation. Mais ce droit-là appartient à Dieu ! Et exclure nous-même le prochain, n’est-ce pas quelque part exclure Dieu qui cherche à gagner les situations ?
Les policiers, les gendarmes sont là aussi pour assurer un minimum de sécurité ; merci à eux, et nous nous devons tous d’être vigilants ! En tous les cas pour traiter de notre thème, il nous faut partir de la réalité des convictions, des situations et des sentiments. Et je découvre que c’est ce que Jésus le Christ a fait, tenant compte à la fois des sentiments en moi, des sentiments en l’autre, et préconisant des actes pour viser ce qu’il a appelé la réconciliation.
Le Christ nous dit, vous l’entendrez dans la lecture d’Évangile qui va suivre, de ne pas laisser les conflits s’enliser. Mais il nous invite à les traiter. Laisser les conflits s’enliser, c’est s’assurer que la qualité des relations se détériore, chacun ayant raison contre l’autre. Il nous faut pourtant revenir à ce qui nous habite tout profondément, dans nos mythes à nous. Au fond n’avons-nous pas une conviction bien ancrée en nous-même qui dirait quelque chose du genre :
- Ah Jésus, la belle histoire… Mais l’engagement à la paix ce n’est pas réaliste, cela ne marche pas ! Le 11 septembre 2001, les attentats de Paris et de Bruxelles ont démontré que le monde est un lieu violent. Parler de la paix semble bien dérisoire devant le déchaînement de la haine et de la violence. La paix, c’est bien en théorie, mais en pratique cela ne marche pas. Ce qui marche, ce qui vraiment change les choses, c’est la force et la violence. Ce n’est peut-être pas joli à dire, mais l’expérience humaine le montre.
- Ensuite s’engager pour la paix, c’est trop élevé pour moi. C’est fait pour des hommes et des femmes exceptionnels, des gens qui ont un pouvoir spécial et des aptitudes extraordinaires. Ce n’est pas pour des gens ordinaires comme moi.
- Et puis, j’ose à peine vous le dire, au fond de moi, j’ai aussi de la violence. Il m’arrive d’envoyer autrui paître (du moins mentalement), et me sentir capable de bien des violences dans certaines circonstances.
Il faut entendre ces voix des nombreuses personnes qui trouvent la paix problématique. Et quand même le Christ me dit : « Chiche tout de même, je vais te montrer une voie que tu ne soupçonnes même pas ! » Alors si nous voulons faire de la place à Dieu en nous, il y a un certain nombre de cailloux qu’il faut nommer et débarrasser hors de nous, « au fond du Rhin », comme le disait le prédicateur alsacien Tauler au XIVe siècle.
Nous le verrons, Jésus nous enseigne à être les témoins d’un amour qui va plus loin que l’amour des personnes de son propre clan, plus loin que la réplique ou la vengeance. Pour cela je lirai un extrait de son enseignement dans l’évangile selon Matthieu, au chapitre 5.21-26 :
« Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre ; celui qui commettra un meurtre en répondra au tribunal. Et moi, je vous le dis : quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal ; celui qui dira à son frère : “Imbécile” sera justiciable du Sanhédrin ; celui qui dira : “Fou” sera passible de la géhenne de feu. Quand donc tu vas présenter ton offrande à l'autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère ; viens alors présenter ton offrande. Mets-toi vite d'accord avec ton adversaire, tant que tu es encore en chemin avec lui, de peur que cet adversaire ne te livre au juge, le juge au gendarme, et que tu ne sois jeté en prison. En vérité, je te le déclare : tu n'en sortiras pas tant que tu n'auras pas payé jusqu'au dernier centime. »
Si j’avais été le Messie (plaise à Dieu que ce ne fut pas le cas !), j’aurais choisi d’autres moyens pour gagner les relations et faire œuvre de paix. J’aurais choisi à coup sûr un système qui en impose, utilisant des projecteurs ultrapuissants du haut des cieux pour imposer la paix. Mais je suis également sûr que tous les hypocrites de la terre auraient courbé les genoux non de leurs cœurs, mais de leurs intérêts, et du coup la paix n’aurait été que superficielle. Celle d’un régime totalitaire. Il en faut donc plus pour convaincre les cœurs et c’est ce qu’a fait l’œuvre de Jésus le Messie, et c’est de lui que nous voulons apprendre.
Que nous communique Jésus selon l’Évangile ? Des principes simples que nous allons maintenant étudier.
1. Il y a différentes manières de tuer
Cette disposition de la Loi est bien connue : « Tu ne commettras pas de meurtre ! » (Exode 20.13). Mais Jésus nous enseigne en Matthieu 5 le sens profond de la loi interdisant le meurtre. Car il y a différentes manières d’assassiner quelqu’un, c’est sa démonstration. Il ne dit pas simplement que ce n’est pas à nous de faire justice, mais il va plus loin. L’homicide est interdit : tu ne tueras pas. Ce qui inclut à mon sens tu ne te tueras pas et tu ne laisseras pas tuer en ton nom. La raison biblique en est simple : la vie appartient à Dieu. Elle n’appartient ni à un groupe, ni à une famille, même pas à soi-même. La vie, d’où qu’elle soit, appartient à Dieu qui lui confère sa dignité. C’est vrai, selon ma compréhension de la Bible, de la conception au dernier souffle. Cela nous fait frères et sœurs en l’humanité.
S’il nous fallait transposer, il y a certes la colère entretenue et les insultes qui sont des manières de tuer. Jésus aujourd’hui aurait aussi probablement inclus d’autres comportements assimilables à ses yeux au meurtre, et dans lesquelles nos sociétés baignent facilement. Parmi ceux-ci :
- Le commerce international des armes sans discrimination, très lucratif, et qui ne mène qu’à une surenchère de la violence. Les armes ne tombent en effet pas du ciel !
- La traite des êtres humains, les réduisant à la prostitution et à l’esclavage en profitant indécemment de leur précarité.
- Les spéculations boursières sur des denrées alimentaires qui affament tant de gens en les frustrant du nécessaire pour survivre dans les pays les plus pauvres.
- L’insensibilité aux équilibres écologiques dans une création faite pour le bonheur de tous les humains.
Sans nommer l’insensibilité au sort de pères et de mères aînés, et inversement vis-à-vis des enfants.
Nous pourrions bien sûr donner d’autres exemples. Tu ne tueras pas, on peut aussi le faire en diabolisant autrui sans le rencontrer. Tu ne tueras pas, normalement c’est à notre portée à tous. Mais Jésus est revenu sur la question pour donner le plein sens au commandement de ne pas tuer. Il va plus loin que nous ne l’imaginons communément.
Il y a différentes manières de tuer. Notre langage (Jésus le souligne) révèle souvent nos hostilités. Il y a des mots effectivement qui tuent. Que révèle notre manière de parler ?
Ne dit-on pas en allemand totschweigen… ? Littéralement : taire quelqu’un comme s’il était mort, c’est dire l’ignorer comme s’il n’existait pas. Il s’agit là aussi d’une manière de tuer.
Les paroles comptent aussi. Jésus nous a ordonné (fin du chapitre 5 de Matthieu) de saluer, souhaiter le shalom à tout le monde. J’ai été, à mes heures, animateur socio-culturel en milieu fortement immigré. Et je sais combien le simple fait de saluer les enfants d’immigrés a une portée importante (et l’inverse également, mais avec des résultats néfastes). Les chrétiens doivent le faire, prenez l’initiative de saluer tout le monde. C’est par là que commence le fait de faire la paix. D’autres soutiendront des initiatives plus pédagogiques, socio-éducatives ou d’aides aux devoirs lorsque les parents ne parlent pas la langue, d’aide à remplir les documents administratifs dans certains quartiers, ou même participeront à ces fêtes de quartier.
Nous l’avons vu, il y a pour Jésus des attitudes qui tuent ...