Dès la deuxième partie du 20ème siècle, un puissant renouvellement théologique et missiologique, dont les Églises protestantes évangéliques n’ont probablement pas encore tiré tous les bénéfices pratiques, a été amorcé : le passage d’une compréhension classique, très ecclésiocentrique, que l’on peut résumer par « L’Église a une mission », à la redécouverte et réinterprétation du concept de Missio Dei (2) » (Mission de Dieu) qui fait dire avec raison que « Dieu a une Église pour sa Mission(3). » Le Dieu trinitaire est l’auteur d’une Mission de salut que le Père a voulue, que le Fils a accomplie et que le Saint-Esprit applique et poursuit. La mission n’est donc pas (seulement) une fonction de l’Église, comme si elle émanait d’elle, mais une réalité ontologique, c’est-à-dire de son « être ». Et c’est cet être permanent qui doit guider le faire, réalité nécessairement flexible, aussi au niveau des formes, si l’Église veut rester pertinente dans ce monde – devenu largement néopaïen après seize siècles de chrétienté(4) – dans lequel Dieu l’a placée.
1. Où trouver de nouvelles ressources pour faire face aux nouveaux défis ?
Ce réinvestissement théologique et missiologique fondamental conduira, en francophonie vers 2010, à faire avantageusement usage du néologisme « missionnel ». L’adjectif « missionnel » n’est pas un simple synonyme de missionnaire. Il s’agit de deux concepts à distinguer nettement. Missionnaire désigne la mission en tant qu’activité. Il s’agit du faire d’une personne ou d’une Église. Tandis que missionnel désigne la nature. Il s’agit de l’être, de l’identité d’une personne ou d’une Église. L’aspect missionnel est premier, il est au centre et imprègne tous les autres aspects. À partir de cette conscience « d’être » par nature une mission permanente, une Église missionnelle articule intentionnellement deux dimensions concrètes de présence au monde(5) : l’Église réunie pendant quelques heures (cultes et célébrations, groupes) et l’Église dispersée au travers de ses membres, le reste de la semaine, pour être ainsi en permanence proche et au service de ses prochains.
Une Église missionnelle « incarne » le message du Christ, elle vit les prémices du royaume. Elle est une herméneutique pratique de l’Évangile. Elle est le signe, l’avant-goût et l’instrument du royaume (cf. Lesslie Newbigin).
« Une communauté missionnelle est une Église où chaque activité et département de l’Église est intentionnellement tourné vers l’extérieur, s’attendant à ce que des non-chrétiens soient présents ; de leur côté, les chrétiens engagés reçoivent le soutien qui est nécessaire à leur ministère dans le monde(6). »
Pour de nombreuses Églises locales en France (et en Europe francophone), les défis liés à la Mission de Dieu et à la missionalité de l’Église en faveur du monde qui l’entoure, avec des populations en proportion si nombreuses, semblent trop grands. Comment changer le paradigme classique et développer désormais le dimanche et en semaine une vie d’Église véritablement missionnelle ? Elles se sentent souvent seules, presque démunies, ne disposant pas de ressources humaines ni, surtout, de suffisamment de ministères pastoraux spécialisés pouvant les guider et les former. Le danger d’un certain repli sur soi et ses propres besoins et d’une mentalité de maintien du programme habituel semble alors subtilement guetter des Églises pourtant sincèrement désireuses que le royaume de Dieu avance.
Nous voulons présenter ici et plaider en faveur de réseaux régionaux qui se déploient grâce à une vision territoriale plus large. Des Églises locales qui partagent intentionnellement des ressources et en particulier des ministères pastoraux pour mieux répondre à leur mission.
Disons-le d’emblée : nous ne pensons pas que l’organisation en réseaux régionaux soit un concept ecclésial à appliquer urbi et orbi, pour toutes les Églises, quelles que soient la configuration géographique et démographique et leur capacité actuelle en ministères. Nous ne pensons pas non plus que cette organisation engendrerait presque « automatiquement » un style de vie d’Église plus missionnel. Mais nous sommes convaincus, aussi par notre propre expérience, que la mise en place de centaines de réseaux régionaux supplémentaires pourrait lever, dans la période où nous sommes, trois obstacles de taille :
- mettre de nombreuses Églises au bénéfice de ministères pastoraux les aidant à devenir missionnelles ;
- mieux guider les nouvelles vocations, mieux répartir les pasteurs sur le territoire, mieux les financer et leur offrir davantage de choix pour travailler en équipe de ministères selon leurs dons, respectivement leur « couleur ministérielle », à différents niveaux de responsabilité ;
- permettre à des centaines d’Églises supplémentaires de participer activement à l’implantation de nouvelles Églises dans leur secteur géographique sans se dépouiller elles-mêmes de toutes les forces vives nécessaires localement.
La définition que nous proposons pour ce concept est la suivante : unité ecclésiale interdépendante, de deux à cinq Églises locales, de la même dénomination, dans une même zone géographique de cinquante à quatre-vingts kilomètres d’envergure environ, ou, dans des zones urbanisées, de la taille d’une agglomération.
2. Quelques remarques sur la mission de l’Église au sein de la Mission de Dieu
Dans une compréhension « professante » de l’ecclésiologie, l’Église locale est avant tout une communauté de disciples qui adorent le Seigneur ; des disciples qui forment un corps en Christ, agissant les uns en faveur des autres ; une communauté où les membres se tiennent ensemble au service du monde environnant que Dieu a tant aimé. La mission de cette Église est de faire des disciples parmi toutes les nations (Mt 28.18-20). « Faire des disciples » précise le processus et la démarche (ainsi que le critère – en principe – visible et mesurable à l’aune duquel nous devons évaluer nos actions). Quant au modèle à suivre, Jésus dit aux disciples, « Comme le Père m’a envoyé, je vous envoie… » (Jn 20.21) et indique ainsi le caractère incarnationnel de leur présence au monde. Le peuple de Dieu est par nature un peuple « envoyé » dans le monde.
Le mode opératoire concret pour la croissance du royaume de Dieu dans le monde et pour l’accroissement du nombre de personnes qui adorent le Seigneur, est la multiplication de disciples. Des disciples « ordinaires » qui coopèrent pour multiplier des disciples. Le disciple ne fait pas d’autres disciples en solitaire, mais toujours en interaction avec la communauté locale dont il fait obligatoirement partie. Les disciples incarnent communautairement les prémices du royaume de Dieu, au milieu des royaumes et nations actuels. Une vie d’Église missionnelle – avec l’articulation consciente et fonctionnelle des deux dimensions centrifuge et centripète – est a priori le meilleur cadre pour multiplier et former des disciples en vue de leur foi et d’un engagement mature.
3. Dieu veut équiper son Église au travers des divers ministères pastoraux pour qu’elle puisse remplir sa mission multidimensionnelle
Les Églises-communautés ont vocation à vivre et à refléter les cinq « couleurs(7) » ou facettes du royaume : pour prendre véritablement leur place dans la Mission de Dieu, elles ont en effet besoin de développer simultanément les dimensions apostolique, prophétique, évangélistique, pastorale (soins de berger) et enseignante. Nous pensons qu’une exégèse adéquate du texte d’Éphésiens 4.11-13 et l’observation de la pratique apostolique, nous conduisent à comprendre que les cinq « couleurs » énumérées dans ce passage sont d’abord des capacités de l’Église elle-même (et non seulement des ministères spécifiques). Selon une pensée originale et stimulante d’Alan Hirsch(8), ces couleurs ne démarreraient pas avec le peuple de Dieu, mais s’inscriraient dans l’ADN de l’humanité dès l’origine. Elles relèveraient du génie de l’ordre créationnel. Le péché ayant (provisoirement) anéanti ce dessein extraordinaire, l’Église en tant que nouvelle humanité retrouverait ainsi toutes ces couleurs par l’Esprit et annoncerait déjà prophétiquement la réalité éternelle du royaume.
En évoquant les couleurs ministérielles de l’Église, il est utile de préciser que cette diversité se retrouve idéalement, du moins dans une certaine mesure, à tous les niveaux de responsabilité : dans le sacerdoce de tous les croyants ; au niveau du groupe de responsables bénévoles ou laïques (conseil pastoral, anciens, diacres)(9).
Mais ce qui est particulièrement significatif, et qui concerne directement notre sujet par le potentiel que permet de valoriser un fonctionnement en réseau régional d’Églises, est le besoin d’une diversité de ministères pastoraux et leur collaboration régionale dans un esprit d’interdépendance, en vue d’équiper chaque chrétien pour qu’il exerce son ministère là où il vit.
En prenant exemple, avec liberté, sur la pratique apostolique, nous distinguons dans le livre des Actes, corroborée par des indications dans les épîtres, une évolution dans la stratégie de l’apôtre Paul (prévue dès l’origine ?). Après avoir fait nommer des anciens dans toutes les Églises implantées à l’instar de la pratique juive de l’époque, il installe par la suite une deuxième ligne de service, spécialisée : des ministères pastoraux (pour utiliser le vocable d’aujourd’hui), exercés comme activité exclusive ou principale, pour un temps déterminé, allant de quelques semaines à plusieurs années, dans un lieu(10). Il s’agit principalement des collaborateurs de Paul, provenant essentiellement des Églises qu’il avait fondées dans ses premiers voyages missionnaires. Des hommes et des femmes « libérés », voire envoyés par leurs Églises pour le service des Églises locales ou des Églises d’une région et formés manifestement de manière soutenue par l’apôtre.
Ces collaborateurs, correspondant aux différentes couleurs ministérielles(11), travaillent localement avec les responsables pastoraux bénévoles (anciens et diacres/assistants). La distinction assez nette ne semble pas relever du registre hiérarchique, mais porte sur une distinction des rôles. Nous suggérons que ces deux lignes de service complémentaires constituent la spécificité de l’époque apostolique pour favoriser la multiplication des disciples dans toutes les nations. Ce modèle est proprement néotestamentaire.
En accueillant de l’Esprit et en bénéficiant de ministères pastoraux variés et complémentaires que Dieu veut lui donner, l’Église actuelle peut cultiver toutes les couleurs-facettes nécessaires à sa mission(12).
Ces ministères pastoraux sont des dons de Dieu à l’Église pour développer, dans le concret, l’ensemble des capacités apostoliques, évangélistiques, pastorales (soins de berger) et enseignantes des communautés locales. Sans l’appui ni la vision portée par ces ministères, les Églises ne se développent et ne se multiplient pas selon la mesure que Dieu voudrait donner. Mais en tirant vraiment bénéfice de ces cinq couleurs de ministères, elles deviennent aptes à édifier, en actionnant le service réciproque des membres, tout le corps. Elles deviennent aussi – et surtout – aptes à servir le monde dans lequel elles s’incarnent pour « apporter Jésus » dans tous les milieux et groupes humains. Elles donnent ainsi concrètement corps à leur vocation missionnelle.
La croissance qualitative et numérique pérenne, outre la multiplication de disciples et l’implantation de nouvelles Églises, se manifeste dans la durée en particulier par le surgissement, au sein de la communauté, de vocations de futurs ministères pastoraux(13) selon le don et l’appel que Dieu adresse à ces hommes et femmes, appel corroboré par l’Église.
Après 2.000 ans d’histoire de l’Église et 500 ans de protestantisme, nous n’estimons pas judicieux de vouloir verser dans la créativité sémantique. Nous nous accommodons donc fort bien du terme générique de « pasteur(14) » pour désigner ceux qui œuvrent dans différentes couleurs ministérielles au niveau local, voire en réseaux régionaux, et qui ont en commun plusieurs traits et objectifs :
- quelle que soit leur couleur ministérielle personnelle, leur mission consiste à aider l’Église à développer une vision biblique de son être et de son rôle ;
- leur mission prioritaire consiste à développer le ministère des autres, celui de tous les membres(15) ;
- ils aident les chrétiens à trouver et à développer leur ministère respectif, au sein de la communauté et dans le monde, sachant que pour la majorité des chrétiens, leur service ne s’exerce pas lorsque l’Église est réunie, mais surtout lorsqu’elle est dispersée en semaine dans le monde ;
-
ils encouragent, par leur exemple et leur enseignement, les chrétiens à grandir en maturité, à devenir, par l’engagement persévérant dans leur contexte, des chrétiens « adultes », solides, au service du monde (cf. Hé 5.14).
4. La réalité de la faible croissance des Églises par conversion – respectivement multiplication de disciples – et du faible « taux de reproduction » des Églises existantes pose question
« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », aurait dit Albert Einstein. Et si nos structures ecclésiales locales, fruit d’un passé certes riche, mais nées souvent dans des controverses nécessitant à l’époque d’y apporter des correctifs, manquaient aujourd’hui de pertinence et d’agilité ? Et si elles étaient trop « localistes », comme si vivre en autarcie était une vertu ? Et si la compréhension du rôle du pasteur était ici ou là inutilement figée et rabougrie comme si la norme biblique était « une Église = un pasteur », quel que soit le stade de développement de l’Église et sa taille ? Comme s’il suffisait d’un ministère pastoral « monochrome », généraliste et obligatoirement exclusivement local ? Ceci au lieu de chercher des voies pour favoriser le développement d’Églises missionnelles, dynamiques et multiplicatrices, en les faisant bénéficier de ministères pastoraux de toutes les couleurs ministérielles…
Le protestantisme évangélique s’est certes numériquement bien développé, en prenant ici pour exemple le cas de la France. De 50.000 pratiquants réguliers en 1950, il a été multiplié par quinze pour atteindre, fin 2021 selon nos estimations, 745.000 pratiquants réguliers (adultes et enfants), ce qui représente un peu plus de 1 % de la population globale(16). Le nombre d’Églises locales structurées a progressé dans les mêmes proportions pour atteindre, fin 2021, le nombre considérable de 2.650 Églises(17). Preuve que l’implantation de nouvelles Églises qui visent intentionnellement à atteindre avec l’Évangile un nouveau public « hors Église » fait croître– par l’annonce de la Parole et l’action du Saint-Esprit – le nombre de croyants. La croissance se poursuit depuis plus de vingt ans au rythme d’une Église supplémentaire tous les 10 jours environ. La réalité est que cette croissance est quasi linéaire et ne dépasse qu’à peine la croissance démographique. Le taux de pénétration – une Église en moyenne pour 29.000 habitants – reste identique depuis plusieurs années et demeure loin de la vision promue par le CNEF : « au moins une Église en bonne santé et rayonnante pour 10.000 habitants », ceci pour que l’Évangile incarné par une communauté proche devienne visible et accessible pour tous les habitants de France. Un constat s’impose : il manque en France plus de 4.000 Églises locales pour atteindre une densité moyenne de « une Église pour 10.000 habitants ». Ce taux de pénétration peut être considéré comme un minimum pour assurer que chaque personne ait une chance raisonnable de trouver sur son chemin une Église proche accueillante qui incarne localement le message du Christ. Un effort soutenu devrait donc être consenti à l’implantation d’Églises supplémentaires. Un effort tout aussi considérable est souhaitable pour soutenir et accompagner les Églises en besoin de transition missionnelle voire en revitalisation.
5. Le travail en réseaux régionaux(18) est un levier puissant pour développer le potentiel des Églises et pour permettre de surmonter plusieurs des obstacles mentionnés
Avant de décrire les principales raisons, rappelons, au point où nous sommes parvenus, qu’il faudrait être naïf pour penser que le Nouveau Testament fournit l’image de modèles ecclésiologiques et de stratégies de développement ayant un caractère universel, intemporel et strictement normatif. Au contraire, il laisse une marge de manœuvre considérable concernant le choix des formes organisationnelles. Bien plus, il semble recommander d’adapter celles-ci aux réalités du temps présent et de la culture. Cependant, sans prétendre donc qu’il s’agisse d’un dogme biblique, nous pouvons être rassurés : nous sommes sur la bonne voie. En effet, le Nouveau Testament rend compte d’une réalité évidente : à l’époque, les jeunes Églises d’une même région étaient vraisemblablement en relation étroite les unes avec les autres. L’intérêt de l’Église de Jérusalem et de Barnabas pour l’Église d’Antioche, l’aide qu’apporte cette dernière lors de la famine de Jérusalem, avec les Églises de Macédoine et de Grèce, sont clairement attestés. Sans doute, ces collectes étaient-elles organisées par secteur géographique. Et que dire des délégués et lettres qui circulent entre les jeunes communautés proches ? A-t-on même suffisamment remarqué la participation, très tôt, de plusieurs jeunes Églises, souvent dans une logique de concentration régionale, dans l’effort de multiplication, en envoyant des ministres-missionnaires aux côtés de Paul (par exemple Actes 20.4) ?
Il existe, selon nous, plusieurs bonnes raisons de proposer aux Églises d’une même dénomination de se mettre en réseau dans leurs secteurs géographiques respectifs. Notre intention, en proposant de relier étroitement des Églises locales et des ministères pastoraux entre eux, se veut pragmatique, rapidement profitable pour les Églises elles-mêmes et le monde autour et… simple.
a. Faire vivre la diversité ministérielle au bénéfice des Églises du réseau régional
Nous pensons discerner qu’à l’heure actuelle des centaines d’Églises pourraient, en adoptant le concept du réseau régional, bénéficier de l’apport soutenu de ministères pastoraux des différentes couleurs ministérielles. Ceci pour devenir plus missionnelles et mieux développer, en tant que communauté, toutes les facettes de la Mission de Dieu. Au lieu de ne profiter que d’une ou deux couleurs ministérielles, selon la spécialité de leur pasteur local, faire vivre le ministère pastoral dans une logique d’équipe de ministères régionale permet d’accéder à une diversité et richesse habituellement réservée aux seules très grandes Églises ayant les moyens d’avoir plusieurs ministères pastoraux. Ce qui est au cœur d’un tel réseau est la collaboration interdépendante, le partage concret des ministères, en fonction des dons spécifiques, avec des objectifs de développement unitaires. Autrement dit, chaque pasteur cible bien plus que le développement d’une seule communauté locale : il tend à la croissance globale de tout le réseau. Plutôt que de proposer aux collaborateurs d’être des « généralistes » à un endroit, nous soutenons l’idée que chacun ait une Église d’attache à laquelle il consacre par exemple la moitié de son temps. Le reste, il le consacre aux autres Églises du réseau, en les faisant bénéficier de la ou des couleurs ministérielles dont le Seigneur l’a équipé. Nous ne parlons donc absolument pas d’un ministère itinérant sans lien proche et durable avec l’Église locale. Bien entendu, une telle organisation doit permettre à un réseau, si besoin, d’être très bien accompagné par moins de ministères à plein temps que de sites(19). Notre propre expérience nous a confirmé que, en particulier dans les zones où la densité de la population est plus faible, deux ministères pastoraux de couleurs ministérielles différentes pouvaient faire un formidable travail au bénéfice de trois ou quatre Églises. Ce partage des ministères pastoraux peut de surcroît être un excellent vecteur et multiplicateur de dons. Il tend à responsabiliser les disciples et notamment les responsables bénévoles locaux.
Cette façon de collaborer en réseau interdépendant est tout autre chose que sa pâle copie, très répandue, que nous pourrions nommer le « partenariat libre ». Dans cette dernière forme de coopération, chaque Église et chaque collaborateur se veut volontairement « libre » et garde une forme d’indépendance. Les actions communes restreintes (groupes de jeunes, invités extérieurs…) et souvent ponctuelles ne sont guère engageantes et les retombées sont par conséquent généralement bien maigres. C’est peut-être mieux que rien et certainement mieux qu’un esprit indépendantiste, mais l’objectif de faire profiter les Églises en permanence et dans la durée de toutes les couleurs ministérielles afin de développer toutes ses facettes dans l’Église, semble ainsi compromis.
b. Avoir un nombre de ministères pertinent et assurer leur soutien financier
Serait-ce possible que l’héritage historique en matière d’ecclésiologie de beaucoup d’Églises protestantes évangéliques en France et les habitudes créées par l’apport, autrefois, de nombreux missionnaires étrangers (par ailleurs très appréciés !), les aient amenées à penser indispensable de disposer localement pour elle d’un pasteur à plein temps ? Même si la communauté a moins de cinquante membres et si elle n’est pas dans une phase de développement ou de lancement de nouveaux projets ? Nous le pensons…
Outre la difficulté pour financer ainsi correctement des ministères pastoraux, nous estimons qu’une forme de sur-présence locale d’un pasteur – ne pouvant bien entendu pas refléter à lui tout seul toutes les couleurs ministérielles – peut compromettre l’accès à la maturité-majorité de l’Église. Nous pensons qu’une situation trop statique risque de freiner aussi involontairement la vie missionnelle de la communauté. Dans le cas où, dans un secteur géographique, le potentiel démographique est limité et où les Églises sont majoritairement de taille modeste, il nous semble donc judicieux de réfléchir à l’organisation des Églises en réseaux régionaux pour utiliser de manière plus responsable et judicieuse les talents que Dieu donne à son Église.
c. Créer un cadre de travail plus satisfaisant pour les jeunes ministères en favorisant des équipes ministérielles
Il existe une autre raison majeure en faveur du travail en réseau régional : pour les enseignants en instituts et facultés de théologie et les leaders des unions d’Église, il est aisé de constater une évolution assez spectaculaire des attentes des jeunes pasteurs. Pour le sujet qui nous intéresse ici, soulignons leur demande de pouvoir travailler en équipe. À la fois plus sensibles à la mise en valeur de leurs dons et couleurs ministérielles spécifiques, mais aussi conscients de leurs limites, ils préfèrent généralement un travail spécialisé au sein d’un groupe. L’ancienne « liberté » de l’homme-orchestre, généraliste et volontairement indépendant, subissant en contrepartie presque fatalement les effets de l’isolement, ne les attire guère. Il est significatif que l’intérêt qu’ils portent à l’équipe locale et régionale compte souvent bien plus que celui accordé à la structure nationale(20). D’ailleurs, ce qui semble primer c’est la qualité des relations dans le groupe de ministères ainsi que le degré d’harmonie qui y règne, plus que les seuls grands projets. L’authenticité et la proximité comptent plus que les noms mirobolants et les objectifs chiffrés audacieux. Enfin, la nouvelle génération des pasteurs et missionnaires semble plus apte à collaborer, à partager dans le groupe et à définir des objectifs en commun. On y intègre plus aisément des personnes différentes et l’on accepte plus volontiers des situations complexes voire contradictoires. Toutes ces qualités, mais aussi la demande pressante de vivre la chaleur authentique de l’équipe qui relève ensemble les défis, indiquent le grand intérêt de l’organisation des Églises en réseaux régionaux. Ce qui apparaît aujourd’hui déjà souvent comme un atout, s’avérera-t-il à moyen terme un besoin impérieux ?
Les unions qui proposent la possibilité d’un travail en réseau régional avec une Église d’attache, des services spécialisés dans les autres communautés du réseau et différents niveaux de responsabilité peuvent s’attendre à voir plus de candidats. La perspective de ce type de ministère, varié, adapté à ses dons, peut aussi avoir un effet bénéfique sur le surgissement de vocations pastorales. En effet, la possibilité de projection dans un futur ministère apparaissant comme utile, adapté et désirable au regard du royaume de Dieu aide grandement celui ou celle qui cherche sa voie.
d. Proposer des programmes plus riches grâce aux réseaux régionaux
Un réseau régional, selon notre définition, n’est pas un système multisite où chaque site utilise les mêmes programmes et ressources (choix par ailleurs tout à fait adapté à d’autres situations), allant parfois jusqu’à faire appel au même prédicateur principal, par retransmission. Il ne s’agit pas non plus du système d’une Église centrale avec des satellites, dirigés par le même pasteur et ses collaborateurs (choix également possiblement intéressant en d’autres circonstances). Un réseau régional préserve volontairement une grande autonomie d’action locale pour que les communautés puissent rester proches des besoins de leur cœur de cible et développer un esprit d’initiative. Mais par exemple une fois par an, des délégués des Églises et les pasteurs s’accordent pour décider quelles activités seront menées pendant l’année suivante à une plus grande échelle en réseau, et n’auront par conséquent plus besoin d’être organisées par la seule Église locale. Ce système permet de combiner une créativité et sensibilité locale avec l’avantage d’une rationalisation et simplification, donnant aux activités mises en commun davantage d’envergure. L’expérience a démontré, à titre d’exemple, que la mise en commun des domaines suivants était particulièrement positive : l’organisation, le financement et la répartition des ministères pastoraux pour bénéficier de diverses couleurs ministérielles ; les programmes de formation spécifiques et la formation continue des responsables bénévoles (laïques) profitant de l’interaction entre les Églises ; les activités d’enfance et de jeunesse, week-ends, camps, etc. avec des groupes bien plus nombreux ; les contacts avec les autorités et la communication où les interlocuteurs réalisent mieux l’ampleur régionale de l’activité et l’offre des Églises.
Afin d’assurer la coordination et l’animation du réseau, le maintien de la vision et le lien entre les responsables, il est nécessaire que l’un des pasteurs ayant une bonne capacité de leadership remplisse ce rôle.
e. Rendre possibles de nouvelles implantations
Un réseau régional dispose naturellement de plus de ressources humaines et financières qu’une seule Église locale. Il est par conséquent plus aisé de trouver un implanteur et des équipiers pour lancer de nouveaux projets. Il est extrêmement stimulant pour toutes les Églises, même celles de taille modeste, de pouvoir contribuer à « engendrer » une nouvelle communauté dans une ville ou un quartier encore dépourvu d’Église. Cette approche rend l’implantation beaucoup plus proche des dynamiques spirituelles des Églises, plus réaliste aussi par l’intégration dans le réseau et cela dès la genèse du projet. Elle évite aussi de (presque) « vider » une Église de sa substance vitale en consentant seul un trop grand effort et de compromettre ainsi sa propre croissance future.
6. Libérer du potentiel à court et moyen terme
Le concept du réseau régional n’est pas une réponse à tous les défis ecclésiaux et ministériels qui se présentent au protestantisme évangélique français contemporain. Mais la création de centaines de nouveaux réseaux régionaux dans les prochaines années aiderait les Églises concernées et leurs pasteurs à développer leur potentiel en matière de couleurs ministérielles. Elles pourront ainsi devenir plus missionnelles et rayonnantes de l’Évangile, de plus en plus nombreuses, poursuivant ensemble leur mission vitale au sein de la Mission de Dieu.