La saison du « grand âge » est venue sans que ma mère et moi nous y soyons préparées. C’est drôle comment, tout à coup, j’ai pris conscience que ma mère arrivait à cette saison qui allait pleinement m’impliquer. Un accompagnement rythmé par des moments de joie et de peine, de défis et de réconforts…
Maman était une femme pleine d’énergie. Rien ne semblait lui faire peur ni l’arrêter : jardinage, tapisserie, peinture, engagement actif de-ci de-là… Lorsqu’elle est arrivée à l’âge de la retraite, elle s’est installée dans un appartement à proximité de chez moi. Elle m’aidait à m’occuper de mes enfants en bas âge alors que je travaillais à plein temps. Elle y a mis tellement d’amour qu’elle a laissé un marquage fort dans le cœur de ses petits-enfants. La vie suivait son cours, le temps aussi…
Maman a rencontré des difficultés de santé qui sont vite devenues des alertes que je ne pouvais plus ignorer. Plusieurs passages à l’hôpital ont fait émerger le mot « gériatrie ». Ce mot s’est imposé à ma conscience avec beaucoup de peine et d’inquiétude : « Mais Maman a toujours été là pour moi ; je serai donc là pour elle. » Très vite, un accompagnement est devenu nécessaire pour qu’elle puisse rester à domicile. C’est bien ce que nous désirions toutes deux : elle devait être confortable chez elle aussi longtemps que possible. Ces démarches étaient un véritable parcours du combattant, mais quelle satisfaction de voir son sourire lorsque je lui ai dit qu’elle allait bénéficier d’aides à la maison !
Une joie qui a duré jusqu’à ce que sa mémoire commence à lui « jouer quelques tours ». J’ai fait face à l’évidence : Maman ne pourrait plus rester chez elle. La structure est devenue incontournable. Il fallait le lui dire !
Maman se savait aimée – aimée de moi, de mon mari et de ses petits-enfants. C’est ce qui lui a permis d’accepter la proposition de trouver une structure adaptée pour elle. Cet amour respectif est une force dans ces moments de vie où tout semble basculer.
Mais parfois, mon amour pour elle était teinté de culpabilité. Si elle partait en structure, serait-elle heureuse ? Je craignais tellement qu’elle se sente abandonnée, même si je la visitais chaque jour, peur que sa vie devienne vide et sans joie…
Je me trompais ! Son arrivée en EHPAD a naturellement été difficile à cause du changement, mais elle était pleinement volontaire. J’ai réalisé que je faisais erreur en pensant qu’elle ne vivrait plus de moments forts. Son visage réjoui après un concert d’accordéon offert par la structure, ou encore sa joie après avoir dansé à nouveau et revécu des souvenirs du passé… Tout cela, je n’aurais pas pu lui offrir ! Ma consolation et ma joie ont été de la voir sourire à nouveau comme lorsqu’elle était dans la force de l’âge. Mon cœur s’est aussi remis à sourire, sans culpabilité.
Alors oui, le grand âge peut paraître une saison d’automne humide et froide, mais il y a, dans cette saison, une joie qu’on ne soupçonne pas, qui fait oublier l’automne pour laisser place à une autre vie, tout aussi puissante. C’était tellement beau de vivre cela avec elle jusqu’au jour où elle s’est laissée emmener vers son chemin d’espérance céleste. Elle y est bien, je le sais, et je suis en joie de l’avoir vu « vivre » jusqu’au bout de son chemin de vie.