Je n’ai pas gardé grand-chose de mes années de collège. J’ai toutefois conservé précieusement une rédaction dans laquelle je devais répondre à la question : « Pour vous, l’amour rime-t-il avec toujours ? » Dans mon idéal d’adolescent j’avais argumenté en faveur du oui. Qu’en est-il aujourd’hui après 24 ans de mariage ?
Petit retour en arrière
Je me revois encore ramener chez elle une amie après un camp de scouts. J’avais coupé le moteur de la voiture devant sa porte afin d’échanger quelques mots avant que nous nous quittions. Le moteur ne tournait plus mais mon cœur lui battait à 100 à l’heure. Rassemblant tout mon courage, j’ai fini par lui dire : « J’ai des sentiments pour toi ». Un peu plus d’un an après, nous échangions nos alliances : un saut dans l’inconnu, une marque de confiance, un pari sur l’épanouissement dans une vie à deux. Amour allait-il rimer avec toujours ?
La réalité après l’euphorie
La lune de miel a tiré sa révérence. Bonjour la réalité quotidienne : l’haleine au saut du lit, les ronflements qui dérangent, les caresses et les baisers qui ne procurent plus les mêmes frissons, les « poignées d’amour » qui modifient les courbes attrayantes découvertes lors de la nuit de noces, le gros pyjama qu’on ne trouve pas très excitant…
Bref, tout ce qui arrive tôt ou tard à un couple normal.
Désillusions
Au début, nos divers engagements nous ont donné le sentiment d’être un couple uni et dynamique. Nous étions tous les deux fortement engagés au niveau de la famille. Nous avions une vie professionnelle et associative riche. Pas mal d’amis aussi.
Cependant, plusieurs événements ont semé des grains de sable dans notre couple. Des sentiments que nous n’aurions jamais imaginés se sont installés progressivement. Ils nous ont parfois fait très peur. Malheureusement, nous n’en avons pas parlé à l’époque.
Lentement mais sûrement, nous avons développé une vie en parallèle. À l’exemple des rails d’une voie de chemin de fer, nos vies étaient parallèles, sans plus jamais se rencontrer. Nous étions parents, professionnels, membres associatifs mais trop peu couple… Ma rédaction du collège était décidément bien loin !
Tout était-il fini entre nous ?
Je me rappelle d’un soir où nous devions dîner chez des amis. Juste avant de les rejoindre, un conflit a éclaté. J’y suis finalement allé seul. Je ne comprenais rien de ce qui nous arrivait et je ne savais même pas si je retrouverais ma femme en rentrant. C’était le tourbillon dans ma tête. Je n’étais plus capable de réfléchir avec lucidité. Une grande peine m’avait envahi, les larmes coulaient sur mes joues. Qu’avions-nous manqué pour que nous en arrivions là ? Que vont devenir nos quatre enfants ?... Je me voyais déjà quitter la maison et tout laisser à la femme de ma vie.
Il m’a fallu revoir ma définition de l’amour. J’ai pris conscience que si je voulais tenir mon engagement, je ne devais pas toujours lier le verbe « aimer » avec la passion, l’émotion et les plaisirs sexuels. Si je voulais que notre amour dure, je devais vouloir faire des efforts et renoncer à une portion de ma liberté. Il fallait aussi que je pense moins à moi.
Je me suis dit : « J’ai pris un engagement, je veux le tenir et faire le pari qu’à deux, nous irons plus loin que seuls ». J’ai dit à mon épouse : « Je veux avoir besoin de toi, je veux te compléter, je veux m’enrichir de toi, je veux mettre à ta disposition mes capacités ». J’avais alors en tête l’exemple de Jésus qui s’est fait le serviteur de ses disciples. Il fallait que je fasse la même chose avec ma femme.
Reconstruire prend du temps
Heureusement que nous avions de bons amis. J’ai pu m’ouvrir à eux. Ils m’ont écouté et ont eu l’intelligence de ne pas prendre parti. Ils m’ont rendu l’espoir.
Sur leurs conseils, nous avons décidé de recommencer à sortir une fois pas semaine, rien que tous les deux. Alternativement l’un ou l’autre organisait le moment.
Ce fut un exercice difficile pour moi les premières fois car je me suis aperçu que je ne connaissais plus les goûts de celle qui avait partagé quinze années de ma vie. Puis nous y avons pris plaisir à tel point que les enfants nous faisaient remarquer que nous étions « encore » partis. Après des mois sans relations intimes, il nous a fallu prendre le temps de nous écouter. J’ai compris qu’il n’y a pas de relation épanouissante sans une bonne complicité au quotidien.
À nous de choisir
Toute crise nous place devant des choix. Soit nous endossons le costume de la pauvre victime et nous rejetons la responsabilité de l’échec du couple sur notre conjoint, soit nous prenons nos responsabilités pour choisir d’apprendre à nous donner et donc, à composer.
J’ai dû par exemple apprendre le langage d’amour de ma femme en lui disant « Je t’aime ». Depuis ma plus tendre enfance j’avais appris à faire pour les autres pour leur exprimer mon amour. J’avais utilisé le même canal pour exprimer mon amour envers ma femme. Il a fallu que je comprenne que mon épouse attendait autre chose de moi !
En conclusion ?
En regardant en arrière, je pense que notre crise de couple aurait pu atteindre un point de non retour. Finalement, elle a été au contraire une formidable occasion de nous questionner et de chercher à construire un équilibre épanouissant pour chacun. Il nous a fallu reconnaitre nos torts et accorder notre pardon. Un pardon qui offre à l’autre la possibilité de continuer la relation après avoir pu mettre des mots sur les blessures. Ce pardon-là pose une nouvelle base de confiance et interdit au passé d’avoir un impact négatif sur le présent et sur l’avenir.
La prière que Jésus nous a donnée comme modèle m’a beaucoup aidé. Il nous invite à dire « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés »*. C’est ce que j’ai voulu vivre.
Les blessures peuvent entamer la confiance mutuelle mais ce n’est pas inéluctable.
Oui, plus que jamais, je crois que l’amour peut rimer avec toujours, autant que cela dépende de moi en tout cas.
Au fait, l’herbe est-elle réellement plus verte dans un autre pré ?