L’idéal impossible

Complet Réflexion

Propos recueillis par Georges Mary.

Denise Brigou, officière de l’Armée du Salut, a été l’invitée des plateaux télé à la fin des années 80. Son livre «Soupes de nuit» avait beaucoup fait parler d’elle à l’époque. 20 ans plus tard, nous l’avons rencontrée pour l’interroger sur sa vision de la société et sur son parcours et sur son travail actuel, loin des caméras…

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 L’idéal impossible

Que pensez-vous de la devise de la République française: liberté- égalité – fraternité?

Belle devise! Idéale! Problème: nous sommes si différents les uns des autres, chacun a son idée sur la liberté, l’égalité et la fraternité.

Comment qualifieriez-vous la situation sociale de la France aujourd’hui? Est-ce que la crise explique tout?

La misère existe depuis toujours. Il n’y a pas deux humains semblables physiquement et moralement. Nous sommes des milliards et aucun ne réagit de la même façon face à telle ou telle situation.

Le monde d’aujourd’hui est le monde de la consommation suprême. Consommer pour vivre: oui, consommer pour réussir: non. Nous oublions notre âme et le vrai malaise est là.

Je vis avec mes amis qui sont dans la rue, nous mangeons ensemble, ils m’aident dans mes activités, et que vois-je? Qu’est-ce que j’entends? Qu’est-ce que je ressens? En premier lieu, des cris, des révoltes, des peines, des blessures profondes dont beaucoup remontent à l’enfance. Je vois aussi l’alcool qui leur fait oublier leur misère et surtout, surtout une envie d’être reconnus et encore plus d’être aimés.

La société d’aujourd’hui leur demande de s’en sortir VITE et d’avoir des projets. Comment pourraient-ils? Ils ne vivent pas aujourd’hui parce qu’ils n’ont pas réparé hier. On pourrait les mettre dans un château avec des millions ils continueraient à souffrir! Un exemple qui me l’a fait comprendre: nous nous sommes battus pour que l’un d’eux ait un logement, six mois après il était mort par une surconsommation d’alcool. Retourner à la vie NORMALE est très difficile. Ils doivent devant les services sociaux raconter en permanence leur trajectoire de vie, pourquoi ils en sont là, on fait un rapport social et puis… ils doivent attendre, attendre pour avoir des papiers, attendre pour avoir une vie sociale, ensuite… plus rien à part leur solitude et la solitude est terrible à vivre, alors ils abandonnent et retournent à la rue, là c’est vrai il y a la misère mais surtout il y a les copains on n’est pas seul! Alors on survit comme on peut et ils n’ont pas envie de retourner dans cette société de solitude (métro, boulot, dodo).

Les médias ont beaucoup parlé de vous à une certaine époque. Est-ce quelque chose qui vous a aidée?

À part «Bravo pour ce que vous faites» et souvent «mais pas trop près de nous merci» Les gens ont peur, un peu comme la peste du Moyen Age. Tout passe et on est vite oublié. Le quotidien de chacun prend beaucoup de temps. Souvent je pense à ce passage de l’Évangile où Jésus guérit 10 lépreux, un seul est revenu, les autres ont fait leur vie!

Est-ce que votre travail est très différent aujourd’hui de celui que vous faisiez à l’époque?

Que dire? En 1985 j’ai ouvert un centre d’accueil de jour, sans pub, et le bouche à oreille a tellement bien marché qu’ils étaient plus de 300 à venir et toutes les associations qui se sont ouvertes entre temps en recevaient autant. Rien que pour les deux premiers mois de 2010, nous avons distribué régulièrement 115 colis alimentaires! Alors qu’il y a plusieurs associations qui en font déjà! Oui, la misère continue sous différentes formes, une misère peut-être pire car plus cachée. Les gens travaillent, paient un loyer élevé, des charges et n’ont plus rien pour manger! Ils ont beaucoup de mal à venir, la honte, la peine d’en arriver là. Et pourtant, ils travaillent! Ils pensent toujours qu’il y a pire qu’eux et n’osent pas demander.

Je pense souvent à cette phrase de Saint Vincent de Paul: «Il faut se faire pardonner le pain que nous donnons»! Donner du pain aujourd’hui, au XXIème siècle!

Comment réagissez-vous face aux inégalités de la société?

Il n’y a pas de solution définitive, ce serait simple et tout serait résolu. Il y aura toujours quelques-uns qui n’entreront pas dans la «case» parce que l’humain ne peut pas entrer dans un cadre défini. Comme je le disais au début nous sommes tous différents.

La seule solution c’est que chacun vive l’Évangile pleinement là où il se trouve: tendre la main sans rien attendre, persévérer malgré les échecs, garder l’espérance au-delà des apparences, accepter les critiques les jalousies en se disant que nous sommes tous ainsi et puiser nos forces dans la parole de Dieu.

Qu’attendez-vous de nos autorités civiles et politiques?

Ils font ce qu’ils peuvent que ce soit la droite ou la gauche. J’avais invité à manger avec nos amis une autorité politique et il m’a dit: «Merci de m’avoir fait vivre un peu sur le terrain, nous en avons besoin, nous ne le connaissons pas assez».

Pour sourire je viens de finir un livre sur Henri IV. Il vivait avec son peuple, il mangeait avec eux! tout est là! Jésus mangeait avec le peuple avec les pauvres les prostitués…

Pouvez-vous nous dire ce qu’il faut comprendre de la devise de l’Armée du Salut: Soupe, Savon, Salut?

Comment leur parler de Dieu s’ils ont faim? Qu’est-ce qu’ils entendront si vous ne leur dites que «Dieu vous aime, bon courage, je prie pour vous».

Mais si vous leur dites: «Tiens je t’invite à manger et je vais te parler de quelqu’un qui t’aime», alors l’écoute s’installe et la Parole fait son effet. Quand on a bien mangé, quand on est propre, on se sent bien et on peut recevoir. C’est Dieu et lui seul qui donne la vie au travers de nos actions si petites soit-elles. «Un verre d’eau» dit Jésus.

Il y a toujours l’heure de Dieu pour la rencontre nous ne savons pas quand mais elle arrive.

Je me souviens quand ma mère a su que j’étais entrée dans l’Armée du Salut, elle m’a avoué qu’au moment où elle a divorcé elle s’est réfugiée avec moi alors âgée d’un an à l’Armée du Salut. Les officiers qui ont accueilli ma mère ont certainement prié pour elle et son bébé; 24 ans après j’ai rencontré Jésus. C’était l’heure de ma rencontre avec lui suite aux prières de ses serviteurs!

Auteurs
Denise BRIGOU

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