La prédication narrative

Extrait La prédication

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Billy Graham preaching v&v J’ai vécu une expérience homilétique troublante. M’étant rendu à la messe de mon village – j’y participe de temps à autres – j’avais été accueilli avant la célébration par un jeune prêtre. Il se révéla doctorant en théologie, homme cultivé, ouvert, à l’abord sympathique. J’attendais donc avec impatience le temps de l’homélie. Or celle-ci fut l’une des pires qu’il m’ait été donnée d’entendre, informe et vide. Une contradiction radicale entre ce sermon et ce que sa personnalité laissait augurer ! Il n’était que de passage, nous n’avons donc pas pu poursuivre notre échange. Je reste seul avec mes conjectures. Comment un jeune prêtre, étudiant de haut niveau, de bonne volonté pastorale, attentif à l’accueil des participants, a-t-il pu arriver à cela ? Mon intuition est que ce jeune intellectuel urbain a dû être en butte à des remarques acerbes quant à l’incompréhensibilité de son langage de théologien et l’inadéquation de sa pensée avec les préoccupations du paroissien rural lambda. Je l’imagine angoissé, tentant désespérément de s’exprimer dans un autre langage que le sien.

La prédication narrative aurait pu être la clef d’une rencontre entre sa pensée élaborée, fine et riche, et une expression féconde éveillant l’intérêt, condition sine qua non de l’écoute. Mais la prédication narrative ne s’improvise pas.

I. Qu’appelle-t-on « prédication narrative » ?

La prédication est transmission. Elle est utile pour que le peuple du Christ, découvrant en permanence la promesse christique des Écritures, vive de sa rencontre avec la Parole de Dieu. Transmettre implique renouveler. Ce renouvellement naît de l’extension interprétative éclairant le sens pour aujourd’hui de ce qui a été énoncé hier.

La « narrativité » ou « narratologie » est l’étude de l’art du récit tant du point de vue littéraire, que communicationnel. Elle s’intéresse à la fonction et au fonctionnement du récit comme constante anthropologique. La « prédication narrative » est la prédication, au sens théologique exigeant, faisant le choix de présenter la Parole de Dieu à un auditeur sous la forme d’un récit. Pour dire l’Évangile, le prédicateur confie sa conviction, fruit de son étude et de sa méditation, à une narration.

Il est loin le temps où les traités d’homilétique n’avaient pas le moindre mot concernant l’auditeur de la prédication. La prédication narrative prend en compte l’auditeur dans la manière dont un humain s’approprie une parole.

Construire une histoire et la raconter dans une perspective pédagogique intentionnelle est un travail exigeant. C’est une étape supplémentaire dans la préparation. Celle où le prédicateur porte le souci de son auditeur ; celle où, ayant établi où un texte biblique conduit, il s’intéresse maintenant à la manière la mieux appropriée de le transmettre.

Quel que soit le style de la prédication, l’intérêt suscité chez l’auditeur est capital dans la réception. Selon les Propos de Table, Luther disait :

« Si l’on prêche sur un article de la justification, les gens dorment et toussent. Si l’on raconte des histoires, ou que l’on donne des exemples, les oreilles se dressent dans une écoute attentive et silencieuse. »

Quel pasteur n’a pas constaté que ce qu’il avait préparé pour des enfants, avait à l’évidence été reçu par leurs parents d’une façon beaucoup plus attentive que la sérieuse et minutieuse prédication traditionnelle ? N’en tirons pas des conclusions hâtives ! Le phénomène a à voir avec l’effet narratif. Qui s’adresse à des enfants le fait spontanément de façon narrative. Aux enfants, on raconte une histoire. Si l’histoire est bonne, elle intéresse toutes les générations.

L’universalité de la narration est à l’arrière-plan du succès des plateformes de streaming, à l’arrière-plan de toutes les « séries », de tout l’univers romanesque jusque dans la publicité aujourd’hui systématiquement présentée sous forme de micro-récits.

Voir dans la prédication narrative le souci de ne pas ennuyer l’auditeur est honorable, mais totalement insuffisant. Elle n’est pas « cosmétique ». Si la narration a envahi les écrans, c’est bien par souci d’efficacité commerciale. La prédication narrative n’est pas une stratégie de séduction. Elle n’a pas pour condition de plaire – encore moins de déplaire –, mais d’accrocher l’intérêt et de convaincre. Elle se justifie donc par des raisons plus fondamentales, théologiques et anthropologiques.

1. Théologique

La Bible dans sa riche diversité littéraire est fondamentalement un livre de récits. Le Dieu de l’Histoire, se révélant au fil de l’histoire des hommes, est celui dont on témoigne en transmettant un récit. La Bible n’est pas un traité de doctrines, ni un catéchisme « questions-réponses ». La Bible raconte le grand récit des événements du Salut, racontant étape après étape le mouvement progressif de la révélation de Dieu au fil, parfois chaotique, de la vie d’humains. Seule la narration peut rendre compte de ce Dieu-là, présent et agissant dans l’histoire, parfois de façon directe, souvent par l’appel de personnages dont il change la vie. Notre foi au Dieu créateur naît du récit sans cesse médité de la création ; les quatre évangiles, non un unique, racontent l’histoire de Jésus de Nazareth. Chaque évangile le fait d’un point de vue singulier. Leur cohérence globale n’efface pas la singularité de chacun et cette singularité n’altère pas leur cohérence.

La prédication narrative se justifie en ce que la Bible premièrement raconte. Ajoutons qu’une grande part des textes non-narratifs réinterprètent, dans un autre style et une autre perspective, le récit narratif. La théologie systématique n’est pas le premier mode de manifestation de la révélation. Autrement dit, dans la Bible le non-narratif naît du narratif qui demeure premier. Faut-il ajouter à cela la place, là encore prépondérante, de la narration dans l’enseignement de Jésus, par exemple, par les paraboles ?

2. Anthropologique

La narration est la forme la plus universelle non seulement de la communication et de la transmission, mais de la construction des identités culturelles. Toutes les sociétés, sans aucune exception, racontent des histoires fondatrices rassurantes quant à la cohérence du monde familier. Cette universalité atteste qu’une personne ou une société se construit non par des concepts, mais par ...

Auteurs
Richard GELIN

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