La question de l'autorité sa définition et son fonctionnement
Le refus d'une pratique démocratique dans l'Eglise
Ce refus s'appuie sur ce qui semble un argument noble: la revendication pour l'Eglise d'être un lieu de théocratie ou de christocratie. La démocratie et l'autorité du Christ sur son Eglise sont présentées comme Inconciliables. Or, je propose que la démocratie est la meilleure voie pour que s'exprime la christocratie. L'Angleterre est à la fois une monarchie et une démocratie ! En opposant christocratie et démocratie, on oppose deux dimensions différentes, l'une est de nature doxologique et confessionnelle, et l'autre est de nature fonctionnelle. Le fonctionnel rend compte du doxologique.
La "théocratie" pour se réaliser dans une communauté historique a besoin d'une structuration particulière des rapports humains. Cette structuration est celle de la fraternité. C'est quand je reconnais en mon prochain un frère, par Jésus Christ, avec lequel le dialogue est le mode par excellence de la rencontre, que J'atteste que Dieu est souverain. Dans le Nouveau Testament, seule l'histoire d'Ananias et de Saphira pourrait être lue comme manifestation d'une théocratie directe!
La démocratie se définit non par le pouvoir direct du peuple, mais par la délégation de pouvoir, selon un contrat déterminé dont le mandataire rendra compte de l'usage. La démocratie est par ailleurs l'affirmation du libre accès et de la libre circulation de la parole parmi les membres d'une communauté (nationale ou ecclésiale). La revendication théocratique a dans les faits toujours été le paravent de l'annexion du pouvoir par un clergé et ce d'autant plus insidieusement que ce clergé ne s'identifie pas comme tel.
La démocratie ecclésiale témoigne authentiquement de la participation de chaque croyant à la vie de l'Esprit et marque l'unité fondamentale des croyants quelque soit leur service particulier. L'autorité n'est qu'une autorité de service.
Autour de la prédication
Des revendications d'autoritarismes propices au sectarisme s'emparent volontiers du statut de la prédication. Celui qui a reçu délégation et à qui a été reconnue l'autorité pour annoncer la Parole de Dieu est parfois tenté de revendiquer pour sa parole une autorité la plaçant au dessus de toute critique fraternelle. C'est le rapport du prédicateur à sa propre parole qui est en jeu. Il n'y a pas d'infaillibilité du prédicateur, ni de transsubstantiation homilétique. La parole pastorale est, et demeure, une parole fraternelle. C'est par un "miracle" de l'Esprit. que de cette parole humaine, qui rend témoignage de l'Evangile. résonne parfois pour nous une parole divine. L'autoritarisme de la prédication n'est jamais justifié. Il faut reconnaître à l'Eglise un devoir d'écoute dans une "foi critique". La prédication, à l'exemple de la pastorale du Christ, doit par ailleurs être une pédagogie de la liberté chrétienne.
La famille de Dieu
Il faut peut être Ici débusquer' une lecture réductrice et romantique du thème biblique de l'Eglise comme famille de Dieu. De nombreuses dérives sectaires s'appuient sur ce langage pour justifier la force des liens qui unissent le groupe. Ce thème s'organise autour de l'idée de Dieu "notre Père". Le sectarisme est évident là où des discours Infantilisants sont mis en oeuvres. Les exégètes semblent aujourd'hui rejeter l'équivalence de l'araméen "Abba!'avec le français "papa". Audelà de l'anecdotique, c'est tout une compréhension de nos rapports à Dieu qui est en jeu. Soit est privilégiée une lecture où le croyant est face à Dieu comme un petit enfant, soit au contraire la notion d' "enfant" ou de "fils" accentue celle de dignité, de participation et de responsabilité devant le Père. La famille de Dieu ne peut pas, sans risque, être réduite à la famille nucléaire contemporaine et même là, dans ce cas, elle est encore un lieu de diversités et de conflits! L'idée de "famille" ne doit jamais se développer au détriment du respect de la vie privée. Il doit y avoir de la solidarité, mais pas d'exigence de "transparence".
Autour du thème de la séparation
D'autres dérives se développent à partir d'une "théologie de la séparation". Celles ci s'appuient soit sur la prière sacerdotale: eux sont dans le monde, ... mais ne sont pas du monde.. ou des textes ressemblants. ou à partir d'anciennes définitions étymologiques de l'Eglise insistant sur le "hors de" (ek). De même des étymologies Incertaines de "saint" "sainteté" ont renforcé la justification d'une coupure d'avec la société. "saint" se définissant plus justement en termes d'appartenance ou de consécration, qu'en termes de coupure... Il est aujourd'hui largement reconnu que la démarche étymologique est très réductrice. Ces lectures ont cependant fourni justification à bien des séparations, tant à l'intérieur des Eglises, que vis à vis de la vie civile et culturelle. On aborde là un aspect de la théologie de la création. Quelle lecture théologique faisons nous de la ville, des autorités civiles, de la culture, de la technique etc. Selon notre orientation, soit on cherchera à rendre compte du Christ par une présence et une participation, soit par une absence. Conséquence de cet aspect de la séparation, la communauté chrétienne est vécue comme la totalité de la vie relationnelle de ses membres. La relation à la société se trouve réduite à un enjeu d'évangélisation et seulement légitimée par cette perspective. Là, se trouvent les causes les plus fréquentes du "syndrome du hérisson", le repliement sur soi. La rencontre de ces théologies avec une personnalité manipulatrice pathologique, peut être explosive...
Quelques commentateurs soulignent dans la première êpitre de Pierre que "saint" y caractérise les relations des croyants vis à vis du Seigneur et des frères, et "bien" ce que les non croyants peuvent saisir chez le croyant: ... que les païens soient éclairés par vos oeuvres bonnes et glorifient Dieu au jour de sa venue... (1: 2,12). Il y a une responsabilité de clarté, de lisibilité du message que nous envoyons à la société. Le "bien" n'est jamais en contradiction avec le "saint". Il appartient à l'Eglise dans toute la mesure du possible, en cohérence avec sa foi, de présenter au monde des signes compréhensibles. Les séparations sont d'un autre ordre. Elles sont au plan de l'espérance engendrée par la Résurrection. Ne vous conformez pas au monde présent... (Rom 12), ne signifie pas de vivre hors du monde, ni sans le monde, mais de ne pas se laisser conduire par des principes non vivifiés par l'Evangile du Salut. Cela ne place pas l'Eglise hors de ce monde que Dieu a aimé en Jésus Christ.
La fragmentation en "micro écclésioles"(1)
Cette fragmentation est à la fois cause de tentations sectaires et signe de sectarisme. Dans tous les cas, il y a une négation de la reconnaissance que personne, aucune communauté, ne renferme seule la totalité de la grâce. Nous devons toujours nous rappeler que ce que nous croyons, nous l'avons reçu de la chaîne des témoins: moi, J'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis".
Cette fragmentation résulte d'au moins trois causes qui souvent s'additionnent.
1) Un congrégationalisme outrancier et dévoyé
L'Eglise n'existe que dans la seule communauté locale. Cette attitude oublie l'extraordinaire dynamique des relations InterEglises dans le Nouveau Testament. Elle provient aussi d'une ecclésiologie qui s'est définie dans des contextes historiques particuliers, face à des pouvoirs religieux centralisés. Comme souvent l' "ennemi" combattu, par exemple: le centralisme romain, nous a poussés à nous caricaturer nous mêmes, en nous plongeant dans l'autre extrême. Ce congrégationalisme vaniteux et malsain est un terrain rêvé pour tous ceux qui sont en mal de pouvoir.
2) La relation à l'histoire
Un défaut d'enracinement historique ou l'ignorance même, si ce n'est la négation de l'histoire, s'accouplant à un Individualisme excessif, a produit une fragmentation du paysage ecclésial en de multiples groupuscules, chacun convaincu de sa légitimité. Les uns tiennent à telle Interprétation. de tel verset eschatologique et les autres ne connaissent plus que la course à la surenchère émotionnelle. Chacun étant convaincu qu'il redécouvre la pureté originelle (tout à fait mythique).
A la périphérie de ce registre, Il faut signaler les conséquences de l'évolution du statut de la lecture de la Bible, de lecture communautaire à celui d'une lecture Individualisée (accroissement de la tentation illuministe).
3) La difficulté à hiérarchiser les vérités
Toute vérité est absolutisée. Donc toutes les vérités sont nivelées. On défend alors une position particulière comme l'on défend la Résurrection. Dieu ne parlerait que par absolu! Les dix commandements ne sont pas distingués des règles d'ablutions! Or le Dieu de la Bible se présente parfois comme celui qui adapte sa Parole à la situation de l'homme (cf alliance adaptée après le déluge). Cette absolutisation de toute vérité conduit à un ensemble fragile, puisque n'importe quelle remise en cause d'un point secondaire ébranle l'ensemble. Cette attitude provoque des raidissements, donc des cassures, sur des points souvent secondaires.
La théologie est un outil indispensable pour que la vie de l'Eglise et sa prédication persévèrent à glorifier le Christ. Dès que l'on parle du Christ à plus forte raison au nom du Christ on utilise, qu'on le sache ou non, un outil théologique. Mieux vaut alors connaître son outil, son potentiel et ses dangers. La théologie s'exerce dans la confrontation régulière avec la Bible et avec les frères. Elle sert, entre autres, à éviter que notre parole, notre souffle, toujours présents, ne viennent éclipser la Parole et le Souffle divin.