Introduction
« Qu'est-ce que l'homme, pour que tu te souviennes de lui ?
Qu'est-ce que le fils d'homme, pour que tu t'occupes de lui ?
Tu l'as fait un peu inférieur aux anges,
tu l'as couronné de gloire et d'honneur,
tu as tout mis sous ses pieds. » Hé 2.6-8(2)
L'interrogation sur l’identité est devenue prégnante pour nos contemporains. Elle porte à la fois sur l’humanité prise dans son ensemble et sur l’identité propre de chacun. Les études comportementales et la génétique ont mis au jour des continuités surprenantes entre les mondes animal et humain, de sorte que des définitions traditionnelles de ce qui fait l’homme sont remises en cause. En ce qui concerne l’« individu » ultra-moderne, il ne reçoit pas non plus son identité de sa place dans la lignée et dans le groupe, mais se voit mis au défi de construire sa propre identité.
Pourtant, l’interrogation de ce qui définit l’homme n'est pas nouvelle. Déjà le psaume 8 pose avec insistance la question : « Qu'est-ce que l'homme ? » L'épître aux Hébreux fait écho à la question, en citant le psaume d’après la Septante, comme c’est le cas de pratiquement toutes les citations vétérotestamentaires dans l'épître(3). Bien entendu, il ne s’agit pas de confondre les horizons antique et (ultra-)moderne dans lesquels la question surgit. Il n’empêche que nous avons intérêt à nous mettre à l’écoute des auteurs inspirés quand ils réfléchissent à cette question fondamentale de savoir qui nous, en tant qu’humains, sommes.
En citant le psaume 8, l’auteur l'applique au Christ : l’« homme » dont parle le psaume n’est autre que le Fils de Dieu devenu Fils de l’homme. Si l’épître a établi, au chapitre 1, la supériorité de Christ sur les anges en tant que Dieu, il s’attache maintenant à montrer la même supériorité en vertu de son humanité.
La lecture christologique du psaume 8 que l’auteur des Hébreux entreprend, a de quoi surprendre. Quand on lit le psaume, ce sont d’abord les allusions au premier récit de la création qui sautent aux yeux(4). Dans son premier contexte, le psaume parle de la vocation glorieuse de l'homme dans la création, vocation à laquelle l'homme a failli par son péché. L’interprétation christologique du psaume dans l’épître aux Hébreux se justifie par le fait que Christ est le nouvel Adam. Discerner en Christ le second et dernier Adam est un thème cher à Paul (Rm 5.14-21 ; 1 Co 15.21-23,45-49), qu’il a probablement repris d’une tradition encore plus ancienne. Ainsi, le grand passage christologique de Philippiens 2 est probablement la reprise d’un hymne qui exaltait l’attitude humble du Fils de Dieu en contraste à celle des premiers humains (surtout v.6) ; et la mention des animaux dans la version marcienne de la tentation dans le désert suggère le même lien (Mc 1.13)(5). L'épître aux Hébreux se plaît à insister sur le fait que Christ rachète, répare, restaure, ce que l'homme a gâché par son péché. Si l’humanité n’a pas honoré la belle vocation que le Créateur lui avait confiée, le Nouvel Adam assume et accomplit la vocation de l'homme.
« Qu'est-ce que l'homme ? » En appliquant cette interrogation à Jésus-Christ, l'auteur des Hébreux nous dit que la clé de la réponse se trouve en lui. Ponce Pilate ne pensait pas aussi bien dire quand il l’a désigné avec ces mots : « Voici l’homme » (Jn 19.5). Jésus-Christ est l'homme par excellence. Sans lui, nous ne pouvons pas comprendre véritablement qui nous sommes. Sans prétendre à l’exhaustivité, le présent texte s’attelle à mettre en lumière sept facettes de l’éclairage christologique pour l'identité humaine, à partir du deuxième chapitre de l'épître aux Hébreux.
1. Appelés à régner (v.7-8)
Le Psaume 8 médite sur la vocation glorieuse de l’homme selon la Genèse. Pour le psalmiste, elle est sujet d’émerveillement à cause d’un « double contraste : le premier entre la splendeur écrasante du Dieu de l’univers et la petitesse de la créature humaine, et le second entre la faiblesse de cette dernière et la fonction glorieuse qui lui est accordée au sein de la création(6) ». Dans sa reprise du psaume, l’auteur des Hébreux se concentre sur le second contraste(7).
C’est le premier élément à retenir de l’enseignement biblique : l'homme a une dignité particulière, une place spéciale au sein de la création. Il est important de le rappeler face à certaines tendances contemporaines, qui cherchent à niveler la différence qualitative entre l'homme et le reste du monde vivant, souvent en s’appuyant sur une lecture partielle et orientée des données scientifiques. Car, si la génétique révèle l’étonnante proximité du code génétique humain avec le reste des êtres vivants et qu’il existe des parallèles entre des comportements humains et animaliers, des différences significatives existent également : ce sont bien des hommes, et non des animaux, qui font des recherches, tiennent des conférences et écrivent des articles sur les ressemblances entre animaux et humains !
Si un rôle spécial revient à l’humanité dans la création, l’épître souligne qu’il en est de même dans la rédemption. La rédemption vise la « descendance d'Abraham », c’est-à-dire la nouvelle humanité formée par ceux qui appartiennent à Christ (v.16). Cela confère une place spécifique à l'homme, non seulement dans le monde visible, mais aussi – fait auquel nous pensons moins souvent – dans le monde invisible : « Ce n'est pas à des anges qu'il vient en aide, mais … à la descendance d'Abraham » (v.16)(8).
Selon l’épître aux Hébreux, le mandat créationnel, qui confère à l’humanité la charge de régner sur le monde terrestre, trouve son accomplissement dans ...