La science a profondément révolutionné notre vie: progrès médicaux, moyens de communication pratiquement illimités, mobilité sans précédent dans l'histoire de l'humanité… Il est alors tentant d'imaginer que l'avancée triomphale de la science est sans fin et sans limites: ce serait simplement une question de temps. La science permettra un jour de lever les derniers mystères de l'existence.
Une telle confiance ne tient pourtant pas compte des limites inhérentes à la méthode déployée par la science. Il y a d'abord les questions «métaphysiques» auxquelles par définition, elle ne peut pas répondre: Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Pourquoi les lois de la nature ont-elles la forme que nous observons, plutôt qu'une autre? La science explique toujours un fait en le référant à un autre, de sorte qu'elle ne peut pas découvrir le fondement ultime de tout ce qui existe. De même, elle présuppose toujours auparavant le cadre des lois de la nature et ne peut alors pas l'expliquer.
Le mystère de la rencontre
Mais ce ne sont pas seulement les «grandes» questions de la métaphysique qui échappent à la science. Car celle-ci n'avance qu'au prix d’une discipline rigoureuse: elle exige que l'objet de son étude se laisse justement traiter comme objet, soumis aux manipulations de l'expérimentateur, décrit à l'aide de «froides» formules mathématiques. Ce n'est pas un hasard si le chirurgien évite d'opérer des proches: le temps de l'intervention chirurgicale, il faut traiter la personne comme un simple corps. Ce détachement objectif se situe aux antipodes d'une relation personnelle.
D’après la Bible, la foi a des similitudes avec une relation entre des êtres humains, car Dieu s'y présente sous les traits d’une personne. La méthode scientifique n’est donc que d’un usage très limité dans le domaine religieux, car la démarche de l'investigateur scientifique détruit le noyau de toute relation qu'est la confiance: «Tu ne mettras pas le Seigneur, ton Dieu à l'épreuve» (Deutéronome 6.16).
Comment distinguer le bien du mal ?
L'éthique fournit une autre limite de principe qu'aucun progrès scientifique ne permettra de dépasser. La science décrit ce qui est, elle est alors impuissante à définir ce qui doit être. Certes, d'aucuns essaient de déduire une éthique de la théorie de l'évolution. Mais de tels efforts sont voués à l'échec. D'abord, on peut se demander si l'homme doit vraiment prendre exemple sur des animaux pour son comportement. Mais surtout, il faut déjà avoir posé une valeur (ne serait-ce que le progrès évolutif) pour déduire une quelconque prescription éthique du fait que l'évolution s'est produite.
Si la science ne permet pas de distinguer entre le bien et le mal, peut-on alors renoncer à poser des normes éthiques objectives, valables pour tous? Le prix à payer pour un tel relativisme est bien trop élevé: il nous laisserait sans ressort pour condamner, par exemple, la volonté nazie d'exterminer les Juifs. La «solution finale» n'est pas seulement contraire à nos convictions morales, elle est objectivement répréhensible. Ne pouvant se construire sur la science, l'éthique met en lumière la légitimité d'autres démarches.
Une réalité à facettes multiples
D'autres limites de la science pourraient être indiquées. Il est, certes, possible d'élaborer une description scientifique complète de la forme et de la composition de la Venus de Milo, mais capterait-elle la beauté de cette statue? Seul un scientisme totalitaire invoque la science pour invalider les autres domaines de l'expérience humaine: arts, philosophie, morale, religion… Laissons la science apporter ses lumières là où elle est compétente, mais n'attendons pas d'elle qu'elle nous éclaire sur le sens de l'existence humaine, qu'elle nous fournisse les normes sur lesquelles régler notre comportement ou qu'elle nous dévoile l'origine ultime du monde. Sur ces questions, elle ne saura que rester muette.
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Lydia Jaeger
a étudié la physique et les mathématiques à l’Université de Cologne. Diplômée de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine, elle est professeur et directrice des études à l’Institut Biblique de Nogent. Docteur en philosophie de l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, elle s'est spécialisée sur le sujet des rapports entre convictions religieuses et approches contemporaines des lois de la nature. Membre associé du St. Edmund’s College et du Faraday Institute for Science and Religion, à Cambridge.
Elle est l’auteur de plusieurs livres et articles sur le christianisme et sa relation avec les sciences : • Croire et connaître: Einstein, Polanyi et les lois de la nature, Nogent-sur-Marne/Cléon d’Andran, Éditions de l’Institut Biblique de Nogent/Excelsis, 1999, 270 p. (2ème édition 2005, 334 p.) • Pour une philosophie chrétienne des sciences, Nogent-sur-Marne/Cléon d’Andran, Éditions de l’Institut Biblique de Nogent/Excelsis, 2000, 128 p. • Lois de la nature et raisons du cœur: les convictions religieuses dans le débat épistémologique contemporain, Bern, Peter Lang, 2007, 360 p. • Vivre dans un monde créé, Marne-la-Vallée/Nogent-sur-Marne, Farel/ Éditions de l’Institut Biblique de Nogent, 2007, 123 p. • Ce que les cieux racontent: la science à la lumière de la création, Nogent-sur-Marne/Cléon d’Andran, Éditions de l’Institut Biblique de Nogent/Excelsis, 2008, 246 p.
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