Certaines religions contiennent dans leurs textes fondateurs, des lois destinées à la société tout entière. C’est le cas de l’islam par exemple. C’était le cas aussi pour Israël. Les cinq premiers livres (que l’on appelle Torah ou Pentateuque) devaient être la loi qui s’applique à tout le peuple, sans distinction. Israël était une théocratie. Ceci dit, le pouvoir politique et le pouvoir religieux ne pouvaient pas être confiés à une seule personne.
Jésus s’inscrit dans le prolongement de cette révélation, mais il est clair que ses instructions ne concernent plus l’ensemble du peuple, mais seulement ceux qui acceptent librement de le suivre. Ils deviendront ainsi « sel de la terre » et « lumière du monde ». Ils sont dans le monde, mais ne lui appartiennent plus, selon ses propres paroles (Jean 17). Jésus leur annonce clairement qu’ils doivent même s’attendre à être persécutés dans un monde hostile qui ne voudra pas de leur message.
Du reste, le niveau d’exigence qu’il fixe à ses disciples est bien trop élevé pour une quelconque application à tous les citoyens d’un pays.
À l’opposé de bien des chefs religieux, Jésus n’a jamais pris les armes, ni pour se défendre ni pour étendre un quelconque pouvoir politique. Il a d’ailleurs interdit à ses disciples de le faire. « Mon royaume n’est pas de ce monde », a-t-il répondu quand il a été accusé de vouloir soulever le peuple contre l’occupant romain. Et c’est bien vrai qu’il a tout fait pour échapper aux gens qui voulaient faire de lui un roi.
Son enseignement et son exemple étaient clairs : « Les rois des nations les tyrannisent, les asservissent, et abusent de leur pouvoir sur eux... Qu’il n’en soit pas de même pour vous. Mais que le plus grand parmi vous soit comme le plus petit, et celui qui gouverne comme celui qui sert... Moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » (Luc 22.24-27, Matthieu 20.24-27)
Quand Jésus s’est exprimé sur le sens de sa vie, il a déclaré qu’il était venu dans ce monde pour s’offrir lui-même. Quand le moment est arrivé, il a non seulement librement accepté sa mort, mais il a ainsi prié pour ses ennemis : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Luc 23.34) Tout le contraire d’une volonté de prendre le pouvoir.
Un tournant décisif
Les chrétiens ont-ils toujours été fidèles à l’exemple et à l’enseignement de Jésus ?
Nous devons bien avouer que non. Bien malheureusement.
Quand l’empereur Constantin s’est « converti » à la foi chrétienne, celui-ci a fait du christianisme ce qui allait devenir une religion d’État. De mon point de vue, cette collision entre la foi et le pouvoir politique était la pire chose qui pouvait arriver. De persécutée, la foi chrétienne est devenue progressivement persécutrice. Tout le contraire de l’enseignement de son Maître.
Hélas, encore aujourd’hui, certains chrétiens (ou des personnes qui se présentent comme telles) ont des visées politiques. Ils le font parfois avec des dispositions nobles sachant qu’il n’y a pas de plus bel idéal que le message chrétien. Cela étant, ils sont coupables d’avoir laissé de côté l’enseignement et l’exemple de Jésus lui-même. Ce qu’ils semblent ignorer aussi dans leur naïveté est que le pouvoir politique adore se servir d’eux pour asseoir son autorité. Ce n’est d’ailleurs pas qu’au niveau du christianisme. Bien des musulmans regrettent eux aussi l’instrumentalisation de leur foi à des fins politiques.
Pour ce qui concerne l’Évangile, c’est clair. Être fidèle à son message implique un renversement complet des logiques humaines. Si des gens religieux succombent à la tentation du pouvoir, c’est qu’ils ont quitté la voie de Jésus.
Vouloir imposer à une nation l’idéal évangélique est illusoire. De plus, ce n’est bon ni pour le pouvoir politique, car il sort de son rôle, ni pour la foi chrétienne, car la voilà dénaturée.