Un des plus gros défis pour notre humanité et pour notre spiritualité est que les neurosciences traitent le cerveau comme une sorte d’ordinateur ou mécanisme neuronal. En neurobiologie, on utilise souvent le mot « mécanistique » comme une sorte de compliment. Si un collègue me dit qu’un des mes travaux neurobiologiques est « descriptif », cela veut dire que je n’ai fait que des observations, mais sans vraiment arriver à une compréhension satisfaisante. Mais s’il me dit que le travail est « mécanistique », cela veut dire que je suis en train d’arriver à une bonne compréhension. Le but même de la neurobiologie est de comprendre le cerveau en tant que mécanisme.
Si le cerveau est un mécanisme, est-ce que l’homme n’est qu’une machine ? Un objet composé de parties qui interagissent ? Un super-robot composé de mini-robots (les cellules) ? Pour bien des gens, cette notion est choquante, car elle semble attaquer nos croyances les plus profondes de dignité, de liberté et de spiritualité.
Déjà au siècle des Lumières, on a âprement débattu la question de savoir si l’homme est une machine. De nos jours la plupart des neurobiologistes n’hésitent pas à traiter le système nerveux comme une machine biologique à déchiffrer. De la même façon qu'un mécanicien pourrait identifier les parties d’une machine et essayer de comprendre comment elles interagissent ensemble, le neurobiologiste essaie de faire la même chose avec le système nerveux, composé de neurones et d’autres cellules qui interagissent. La prévalence de la notion de machine se remarque dans les titres de plusieurs livres écrits par des neurobiologistes et philosophes français, dont : Le cerveau machine par Marc Jeannerod (1983) ; Machine-esprit par Alain Prochiantz (2000) ; et Le cerveau : la machine pensée par Bernard Andrieu (2000).
Une machine, et rien de plus ?
Mais il est important de comprendre que le fait de pouvoir considérer le système nerveux mécanistiquement n’implique pas que l’homme ne soit « rien de plus qu’une » machine. Il est aussi un être conscient. Introduire les mots « que » ou « rien de plus que » sans justification a été appelé par le neurobiologiste Donald MacKay l’erreur du « rien-de-plus-qu’isme » (en anglais, « nothingbuttery »).
Même pour un objet simple, le rien-de-plus-qu’isme n’est pas justifié. Imaginez que vous êtes dans un musée d’art en train d’admirer un beau tableau. Un chimiste arrive et vous dit : « Je dois vous enlever vos illusions. Cela ne vaut pas la peine de regarder cette chose ; elle n’est rien de plus qu’une masse d’atomes et de molécules ! ». Vous commencez à protester que c’est un beau tableau, mais le chimiste vous coupe la parole : « Je peux vous assurer que si vous enlevez chaque molécule, il ne restera rien du tout ! » Vous n’allez pas le contredire ! Dans un sens, il a raison. Pour pouvoir affirmer qu’il s’agit d’un beau tableau vous n’avez pas besoin de nier que la description chimique soit valable. Le tableau est effectivement une masse d’atomes et de molécules, mais il n’est pas « que » d’atomes et de molécules.
La plupart des gens ne commettraient jamais une telle erreur avec un tableau, mais beaucoup le font avec le cerveau. Même le Prix Nobel Francis Crick le fait en écrivant « Vous, vos joies et vos peines, vos souvenirs et vos ambitions, le sens que vous avez de votre identité, et de votre libre-arbitre, ne sont rien de plus que le comportement d’un vaste assemblage de cellules nerveuses et des molécules qui y sont associées » (Crick, F., L’hypothèse stupéfiante. A la recherche scientifique de l’âme. Plon, Paris, 1994, p 17). En utilisant les mots « rien de plus que » Crick a commis une énorme bavure, qui a attiré beaucoup de critiques légitimes. On peut être d’accord avec lui (et je suis d’accord) que nos joies et peines, notre sens d’identité et tout le reste sont enracinés dans le comportement de nos neurones, mais le « rien de plus que » qu’il ajoute est faux.