Près de quatre années ont passé depuis les événements racontés par son père. Marceau a accepté de nous dire comment il les a lui-même vécus et ce que cela a changé pour lui. Lors de notre interview, il a précisé qu’il n’avait pas lu le récit de son père car, dit-il : « Je ne voulais pas le spolier. »
Avant l’opération
Au début, je ne me suis pas rendu compte de ce qui se passait. Par contre, quand je suis arrivé aux urgences, je me suis demandé si j’allais encore remarcher de ma vie. Au début, on ne savait pas encore de quoi on allait m’opérer. Je me noyais dans les poumons. J’ai appris que la fracture était à deux millimètres de la moelle épinière.
Mon père n’avait pas tout dit à ma mère. C'est lorsque je ne bougeais pas et qu’elle me voyait pleurer sans montrer aucune émotion que ma mère a compris mes réelles douleurs. J’ai vu à mon tour ses larmes de douleur.
Avant, j’avais la phobie des opérations. On ne pouvait pas m’en parler. Quand on m’a dit qu’on allait m’opérer, c’était vraiment la chute pour moi. Je suis devenu tout pâle. Cela n’allait pas du tout dans ma tête. En fait, je n’avais pas conscience de mon état.
Le médecin m’a expliqué les détails de ce qu’il allait faire. Il lui fallait sortir la côte du poumon. Il ferait ensuite une conférence avec des étudiants en médecine pour leur parler de mon cas.
Mon père m’a dit que, quand il n’allait pas bien, il fermait les yeux et il s’imaginait Dieu et son amour… en lui disant : « Écoute Dieu, je te remets tous mes problèmes. »
J’ai prié comme lui. Après cette prière, j’ai ressenti un calme incroyable, je me suis senti apaisé. Plus du tout peur.
L’infirmière m’a dit : « Écoute, tu as l’air d’aller beaucoup mieux. Si tu veux, je veux bien te donner un médicament pour le stress. » En réalité, je savais que j'étais tellement apaisé que je n'avais pas besoin de le prendre. Je l'ai quand même pris pour ne pas contredire l'avis médical. Mon père, lui, bougeait dans tous les sens. Il disait : « Je suis prêt à rentrer dans le bloc opératoire… » Il ne tenait plus en place.
Après l’opération
Quand je suis redevenu conscient en salle de réanimation, je ne comprenais pas pourquoi j’étais là. J’ai senti qu’on avait bougé dans mon corps. Je me suis rendormi et me suis réveillé longtemps après. J’avais toujours envie de dormir.
J’ai alors vu que j’avais des tuyaux et des drains. On me donnait une dose de morphine avec une anesthésie locale… Tout cela me chamboulait un peu. En plus, je ne pouvais pas bouger. C’était encore plus douloureux qu’avant l’opération. Je n’arrivais pas à vraiment dormir. En plus, mon père a ronflé toute la nuit.
Cette première nuit a été une nuit d’enfer. Je me suis retrouvé avec des douleurs que je n’avais jamais connues. C’est alors qu’une infirmière est venue me faire un massage du dos, cela m’a vraiment bien détendu. C’est un vrai privilège que Dieu m’a donné. Je me souviens aussi que chaque fois que je voyais un infirmier, il était super agréable avec moi.
J’étais un peu shooté quand on m’a enlevé mon premier drain. Cela m’a quand même fait horriblement mal.
Du coup, quand on m’a dit plus tard qu’on allait m’enlever le dernier drain, je ne voulais pas. Je me souvenais trop des douleurs de la première fois. L’infirmière m’a dit : « Écoute Marceau, je vais compter jusqu’à trois. » Je lui disais : « Laissez-le-moi toute la vie. » J’ai re-prié pour cela. Je me suis retrouvé à la fois calme et stressé.
Dans un nouveau service
Ma première nuit en service thoracique a été plus horrible que les précédentes. Mes douleurs étaient atroces. J’avais aussi un peu peur parce que je quittais un service où il y avait beaucoup de personnes pour s’occuper de moi alors qu’il n’y avait plus que deux infirmières pour soixante personnes là où je me trouvais. Elles étaient débordées. On me donnait aussi moins de morphine.
J’ai vécu un moment particulier avec Dieu. Mes yeux étaient fermés. Voilà que je ressens tout autour de moi une présence inhabituelle. Je sens alors une main chaude posée là où j’ai mal. Cette main me réconforte, pas seulement mes douleurs mais aussi mes émotions.
Le lendemain, mon père et ma mère arrivent. Je dis à mon père : « Papa, cette nuit, quand tu as posé ta main sur moi, cela m’a fait du bien. » Mon père s’énerve. Il me dit : « Jamais, je n’aurais fait ça ! », car il savait bien qu’il ne fallait pas me toucher. Après, il s’est souvenu qu’à ce même moment, il s’était mis au pied de son lit pour prier. Il avait alors vu l’image de Jésus qui tenait ma perfusion alors que j’étais en train de dormir. C’est alors que nous avons réalisé que c’est bien « la main de Dieu » que j’avais ressentie qui m’a réconforté à ce moment-là : une main très chaude et qui m’a fait du bien.
À l’époque, tout mon corps était déréglé. Je n’arrivais pas à manger. Les compotes de l’hôpital n’étaient pas bonnes. Je n’arrivais pas à y toucher. Par contre, l’infirmière me donnait ses propres compotes. Je les aimais bien.
Mon père, lui, faisait l’avion comme on le fait à un bébé pour qu’il mange. Cela me faisait rire et donc encore plus mal. Alors, j’ai dit à mon père « sors de là ! » car je ne pouvais pas rire à cause de la douleur. Ce furent des moments douloureux mais drôles.
Je me souviens aussi du chef de service de l’hôpital. À chaque fois qu’il rentrait dans ma chambre, il baissait son masque pour me sourire puis il le remettait. Je me souviendrai toujours de cette gentillesse.
Tout réapprendre
Je me souviens que, comme ce qui m’était arrivé touchait mes poumons, je n’arrivais pas à parler. Pas facile à vivre.
Avant mon accident, je faisais en alternance tous les deux jours 1 h 30 de musculation ou de corde à sauter. Voir que je ne pouvais même plus marcher m’a donné un sacré coup au moral.
Le plus difficile pour moi, c’était de ne pas bouger. Quelle victoire quand on m’a enlevé la minerve ! Je me souviens de la farce que j’ai faite à ma mère avec ma tête tournée. En fait, je lui ai fait très peur.
Un jour, je tombe en me rendant aux toilettes. La tête sur le mur, je n’ai plus de force pour me relever. Je bipe mais l’infirmière ne vient pas. Quand elle arrive enfin, elle se contente de me remettre droit sur le pot alors que je suis sans force. En plus, elle me parle mal et est agressive. Je pleure de douleur. Je me mets à la détester. Elle finit par m’aider à me relever. Ouf !
J’en parle le lendemain à mes parents. Ils me font alors prendre conscience de tout le travail que les infirmières font dans des circonstances pénibles. Je comprends alors que ce n’est pas évident pour elles.
Retour à la maison et à la vie
J’aurais aimé rentrer en Belgique par hélicoptère, mais cela n’a pas été le cas. Au lieu de cela, je suis rentré en train. Au cours du voyage, on m’a volé ma sacoche avec mes médicaments. Qu’importe ! Je suis maintenant en paix avec tout cela.
De retour à la maison, je revois ma sœur. Elle m’a préparé une vidéo avec toutes les personnes que j’aime. Ma sœur m’a fait tellement de bien pendant toute cette période où elle était forcée d’être loin de moi. Mes parents ne pouvaient pas lui dire tout, mais elle m’a soutenu comme elle a pu. Plein de personnes m’ont porté.
À la maison, il m’a fallu réapprendre plein de choses. Dur dur ! Mais j’ai de la chance, car j’aurais pu ne plus jamais parler.
Je m’étais fait une promesse : je serai physiquement et mentalement plus fort qu’auparavant.
L’année après mon hospitalisation, le médecin m’a dit de ralentir le sport car j'avais des problèmes avec ma masse graisseuse. Aujourd’hui, je peux rejouer au basket. Je suis au top niveau régional. J’ai progressé énormément. J’apporte beaucoup plus à mon équipe qu’auparavant.
Quatre ans plus tard. Les leçons que j’ai apprises
Je tiens à dire que ce que j’ai vécu est le moment qui m’a le plus affecté dans ma vie. Il a été très très dur émotionnellement et physiquement.
Je peux dire que je me suis toujours senti accompagné par Dieu à travers le personnel de l’hôpital : médecins, soignants, femmes de ménage, amis, gens de l’Église… Tout cela m’a porté.
Ce qui m’a maintenu en vie quand j’étais sur mon lit d’hôpital, ce sont les gens. C’est vrai qu’à certains moments, je me suis senti comme partir, mais ils m’ont donné la force mentale de résister.
De base, je suis quelqu’un qui aime me surpasser, mais là, je ne pouvais plus rien.
Je peux témoigner que dès le début, j’ai fait confiance à Dieu. Je lui ai toujours dit : « Je remets toutes choses entre tes mains. Je te fais confiance. »
Je me souviens aussi de mon échange avec mon père. Pensant que je resterais peut-être handicapé à vie, il m’avait dit : « Marceau, je te promets, je trouverai une solution en handisport pour que tu puisses bouger. »
Je lui ai répondu : « Écoute papa, je ne me fais pas de souci, je remets toutes choses entre les mains de Dieu. Tout se passera au mieux. »
Aujourd’hui
Je vois la vie autrement. Je prends mille fois plus de plaisir à chaque chose que je vais faire. J’essaie de voir le positif dans la vie. Même quand je me promène, je regarde le ciel et je dis merci à Dieu.
Les médecins ont dit : « Marceau aurait dû mourir. » Alors, tout ce que je vis est un bonus.
Je sais que mon père a été fortement marqué par cette promesse de Dieu dans la Bible : « Je le garderai sur son lit de douleur. » Il m’a raconté que cela l’avait apaisé. Moi aussi, j’ai vécu des moments très forts avec Dieu.
J’ai toujours reçu des messages et tellement de vidéos que je ne pouvais pas tout regarder.
En pensant à tout ce monde qui priait pour moi, je savais que je ne pouvais pas baisser les bras.
J’espère que mon témoignage pourra aider des gens à se rapprocher de Dieu. Cela fait tellement plaisir de se sentir utile aux yeux de Dieu.
*Propos recueillis par Georges Mary