Une belle fin de vacances

Complet Témoignage

Avant de commencer

L’Armée du Salut en quelques mots

Vous vous apprêtez à plonger dans le monde qui anime la foi de l'officier de l'Armée du Salut que je suis avec mon épouse Marie. Il me semble important de vous faire part de quelques mots sur notre mission.

Ce mouvement international, probablement familier à vos oreilles, fait partie de l'ensemble des Églises chrétiennes. Son message se fonde sur la Bible. Son ministère est inspiré par l'amour de Dieu. Sa mission est d'annoncer l'Évangile de Jésus-Christ et de soulager, en son nom, sans discrimination, les détresses humaines.

Depuis plus d'un siècle et demi, l'Armée du Salut s'est enracinée dans le monde, portant son message d'espoir et de rédemption aux coins les plus reculés et aux cœurs les plus affligés.

L'histoire de l'Armée du Salut commence au crépuscule de la révolution industrielle, à la fin du 19e siècle. Cette organisation voit le jour en 1865 sous le regard bienveillant du pasteur méthodiste William Booth et de son épouse Catherine. Témoin de la souffrance endurée par les masses ouvrières entassées dans les rues délabrées de l'Est londonien, le couple Booth ressent un appel profond à agir.

Animés par leur compassion et leur désir de servir, William et Catherine Booth conçoivent un modèle unique : une « armée » structurée pour répondre aux besoins les plus élémentaires, aussi bien matériels que spirituels. Ainsi naît la devise emblématique de l'Armée du Salut : « Soupe, Savon, Salut ».

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Pour commencer, j’aimerais me présenter. Je m’appelle Michaël. Je suis officier de l’Armée du Salut en Belgique. Armée du SalutMarié depuis plus de vingt ans avec Marie, nous avons deux enfants formidables : Ève et Marceau. En tant qu’officiers dans l’Armée du Salut, nous avons à la fois une mission sociale et pastorale. Notre mouvement est mondialement connu pour son aide auprès des plus fragiles. L’année 2020 n’aura pas été de tout repos pour nous. Le monde entier est touché par la crise du Covid-19 et nous avons dû coordonner tout un service d’aide à la population durant les confinements.

Le mois de juillet est donc attendu avec impatience. Nous nous hâtons de couper avec le rythme effréné du quotidien. Le sud de la France nous convient bien. Le soleil, la mer et le Sud nous rapprochent de la famille de mon épouse. Nous passons quelques jours du côté de Montpellier. Nous connaissons bien cette région. Ève ne sera pas avec nous très longtemps car elle a trouvé un job étudiant en Belgique durant les vacances.

Nous passons nos journées à jouer au tennis, aller à la piscine, ou encore en bord de mer à pêcher après une baignade. Des vacances reposantes et très agréables.

Le dernier jour, Marceau et moi sommes partis pêcher au bord de mer avec nos vélos. Marie, quant à elle, roule le long de la digue. Nous nous plaçons à un endroit stratégique, mais ce jour-là, il n’y a pas beaucoup de poissons. La pêche est un plaisir qui peut nous maintenir calmes pendant toute une journée. La veille, à cet endroit, il y avait des centaines de poissons et un coucher de soleil exceptionnel sur l’étang. Ce soir-là, le poisson a décidé d’aller se balader ailleurs. Comme ça ne mord pas beaucoup, Marceau décide de prendre son vélo et de rouler le long de la digue. Il n’y a pas de lumière et il doit faire attention à lui, on ne voit pas très bien avec la nuit qui tombe. Tout à coup, j’entends un bruit et je prends conscience d’une chute. Marceau arrive vers moi avec son genou en sang. Plus de peur que de mal. En fait, il s’amusait à faire des dérapages sur les gravillons, jusqu’au moment où il a esquivé un petit panneau de signalisation qu’il ne voyait pas dans l’obscurité. Du coup, il a dérapé et a fait une belle cascade. Cette histoire nous a bien fait rire, mais nous avons eu peur pour sa jambe. Marceau, qui fait beaucoup de sport, ne sait pas rester en place, le voir immobilisé avec un plâtre nous semble impossible.

Le lendemain, nous repartons, les vacances se terminent. Mais avant de remonter en Belgique, nous décidons de faire escale chez les parents de mon épouse, en Provence. Nous prenons notre temps afin de savourer les derniers instants. Nous nous arrêtons aux Saintes-Maries-de-la-Mer pour profiter du soleil et de la plage une dernière fois. Nous redécouvrons des paysages magnifiques en faisant du vélo le long des marais salants. Ce paysage est tout simplement fabuleux. Nous nous approchons des flamants roses, nous regardons la chasse des bars, dégoûtés de ne pas avoir avec nous nos cannes à pêche ! La journée se termine avec un pique-nique sur la plage, sous une chaleur caniculaire. Ces vacances sont inoubliables.

Toute bonne chose a une fin, nous voilà donc partis pour Carpentras... Nous devons passer quelques jours en famille et un beau programme est prévu : lever du soleil au Mont Ventoux, balade dans les eaux du Toulourenc, glace en terrasse à l’Isle-sur-la-Sorgue…

Sur la route, nous écoutons des cantiques en anglais. La mélodie d’un chant m’inspire beaucoup. Nous sommes alors sur la fin de notre route, du côté d’Avignon, proche d’un hôpital avec des couloirs « Covid » pour les véhicules, ainsi qu’un gros radar. Je ne le sais pas encore, mais cet endroit va me marquer. C’est à ce niveau que je demande à Marie de quoi parle ce chant. « C’est un psaume chanté », me répond-elle. Elle m’en donne la référence que je vais pouvoir lire le soir.

Arrivés chez mes beaux-parents, le repas est prêt. Nous passons à table après une longue journée en voiture. La famille est réunie et nous sommes heureux de retrouver Mathilde et sa fille Manon.

Mathilde, c’est la cousine de mon beau-père. Nous avons passé plusieurs années dans la même Église en Normandie. Depuis notre départ en Belgique, les occasions de se voir se font rares.

C’est aussi ça les vacances : retrouver les personnes que nous aimons et passer du temps à rire, à raconter nos aventures de l’année… Pendant le repas, Marie fait part de notre programme : « Demain matin, vers 5 h 00, nous avons pour objectif d’aller voir le lever du soleil au Mont Ventoux. Qui veut se joindre à nous ? »

Je ne savais pas Mathilde et Manon aussi aventurières. Emballées pour nous accompagner, nous n’avons que quelques heures pour nous reposer et nous lancer dans l’aventure du lever de soleil. Il est déjà tard, nous filons au lit pour être en forme le lendemain matin.

Le mardi 28 juillet, il est 4 h 45. Comme prévu, Marie et moi nous nous réveillons pour aller tous les deux voir le lever du soleil à 1.910 mètres d’altitude. Nous récupérons Mathilde et Manon sur la route. Marceau est resté chez ses grands-parents pour dormir. Quant à Ève, elle est rentrée depuis trois jours en Belgique par avion pour reprendre son travail.

C’est toujours une belle aventure ce lever de soleil ! Cela est devenu un rituel pour Marie et moi. Louer Dieu au sommet du Ventoux au lever du jour est une expérience qui fait du bien. Le calme et la splendeur des lieux nous émerveillent.

Marie me surprend à aimer ce genre d’activité car, en réalité, elle n’est pas rassurée sur les hauteurs. Ce matin, nous n’avons pas de chance, la route est en travaux et nous devons faire les cinq cents derniers mètres à pied. Sur le côté de la route, c’est le vide. Pour Marie, c’est hors de question de sortir de la voiture. Elle doit rester sur le parking à nous attendre car le vide l’impressionne.

Nous partons donc, tous les trois, voir ce lever de soleil magnifique. On aperçoit le Mont Blanc, et des rayons orangés dessinent en ombres chinoises les chaînes de montagnes. Le soleil va bientôt se lever. Le spectacle que nous offre la nature est unique.

Puis, voilà l’instant tant attendu : un point blanc sort des sommets à l’horizon, c’est le soleil qui pointe le bout de son nez. En quelques secondes, on le voit s’élever dans le ciel, c’est tellement beau de voir ce spectacle gratuit que nous offre Dieu. Je repense alors à ce passage de la Bible qui nous dit que « le soleil se lève sur les justes comme sur les injustes(1) », et je réalise encore combien Dieu est bon pour tous les hommes.

En retournant à la voiture, je montre aux filles à quel point la lumière du soleil est puissante. On parvient à voir en bas l’ombre du Ventoux qui se projette sur la ville de Carpentras encore privée du soleil. Sur notre droite, nous entendons les cloches des brebis. Le berger ne doit pas être loin de nous.

Le soleil ne perd pas de temps pour se dresser dans le ciel, les villages sont éclairés de ce côté-ci de la montagne. Il est maintenant temps de redescendre. Comme d’habitude, on s’arrête dans le petit village de Bédoin pour prendre le petit-déjeuner sur une terrasse. Nous regardons les marchands installer les étals du marché. Bédoin est un village incontournable de la Provence. Nous prenons donc le temps de nous balader sur le marché, puis nous rentrons.

Il est environ 11 h 00 quand nous arrivons chez mes beaux-parents. Nous n’avons pas très faim. Il faut dire que nous avons bien grignoté sur le marché. Marceau s’est levé tard sans prendre le temps de déjeuner. Il décide d’aller voir son cousin et sa cousine qui sont voisins de mes beaux-parents. Nous prenons le temps de parler en famille autour d’un café, à côté de la structure métallique d’une vieille balançoire. Marie et sa maman décident d’aller visiter la synagogue de Carpentras l’après-midi. Quant à mon beau-père et moi, nous irons faire une course, mais nous ne sommes pas pressés par le temps. Nous grignotons un peu de fromage, bonne tradition française. Marceau est toujours chez sa tante. On sait qu’il arrivera quand il aura faim ! Les enfants jouent aux jeux de société dans la maison. Marie part avec sa maman. L'après-midi semble banale.

Vers 15 h 00, nous partons, mon beau-père et moi, faire un tour au magasin. Arrivé à la maison, je prends soin d’écouter sur Internet les nouvelles belges : elles ne sont pas bonnes à cause du Covid-19. Nous sommes le mardi 28 juillet 2020, tout semble normal, mais aujourd’hui, c’est un jour où tout va basculer dans notre histoire.

La chute

Alors que je regarde les informations belges, Sacha, ma nièce, vient m’avertir : « Tonton, viens vite, Marceau est tombé et il s’est fait très mal. »

Franchement, je ne m’aventure pas trop rapidement. Des cascades, on en a vu avec lui. Je pars en marchant d’un pas ferme en me demandant : « Qu’a-t-il fait ? » En arrivant sur les lieux de la chute, je vois Marceau en bas de la garrigue.

Je l’aperçois qui souffre et je prends conscience qu’il n’est pas bien. Je sens que c’est assez grave mais, pour le rejoindre, je dois franchir un obstacle que je n’aurais jamais pu imaginer : le gros chien de ma belle-sœur.

Étant enfant, j’ai été marqué par un accident avec un chien qui avait mordu l’un de mes camarades en jouant au football. Depuis, j’ai une peur terrible de ces animaux, même des tout petits. Mais, pour mon fils, je devais surmonter ma peur, aller au-delà de mes craintes.

Tout se joue en quelques secondes. Ma belle-sœur demande à son fils d’attacher le chien. Je me souviens que je me disais en moi-même que le chien finirait par venir vers moi. Comme j'y pensais, le voilà qui parvient à s’enfuir et qui arrive vers moi en aboyant. Là, c’est normalement la fin de ma vie tellement j’ai peur. Mes mains transpirent, mon corps se raidit, mais la situation de Marceau me fait réagir différemment.

Je prends soudainement le dessus sur mes peurs et je crie : « Va te coucher ! » avec un regard et une autorité sur un animal comme je ne l’avais jamais expérimenté. Quel soulagement de voir le chien m’obéir et retourner à son emplacement ! En réalité, ce chien est vraiment gentil.

Je descends quelques mètres là où se trouve Marceau. Je lui demande ce qu’il a fait. Il m’explique, mais il éprouve des difficultés pour parler : « J’étais en train de me balancer sur la corde, j’ai été poussé et la corde m’a brûlé les mains. J’ai dû la lâcher et j’ai glissé. » Je ne trouvais pas ça très malin de se balancer à un arbre près d’un fossé de plusieurs mètres de dénivelé. Mais, après tout, on a tous été enfant.

Marceau se plaint de la nuque et du dos. En le regardant, je vois son tee-shirt noir déchiré sur le côté gauche. C’est alors que je comprends le danger qui menace. Marceau a une blessure ouverte côté gauche qui fait au moins quinze centimètres et je suspecte une côte cassée. J’immobilise Marceau qui est conscient mais un peu sonné. Je vois qu’il respire avec une certaine difficulté. Tout se passe en quelques secondes qui semblent être interminables. Je demande à Dorothée d’appeler les secours, de placer une personne sur la route pour leur indiquer l’endroit et prévenir Marie de l’accident de notre fils.

Pendant ce temps, je continue de parler avec Marceau qui ne va pas bien du tout. Je suis inquiet. Je sens que cela va devenir compliqué. La caserne des pompiers se trouve à un kilomètre de chez mes beaux-parents. On les appelle, ils arrivent donc rapidement.

Là, nous comprenons que les conséquences peuvent être graves. En essayant de comprendre avec les secours ce qu’il s’est passé, nous réalisons que Marceau a chuté de plusieurs mètres et qu’il a été freiné en tapant sur une souche d’arbre. Les secours suspectent alors une hémorragie interne et, là, il faut faire vite. Marceau est immobilisé par les secouristes.

Nous devons le remonter par un chemin assez tortueux. Au moment où nous le remontons, nous sommes quatre à le porter. Marie arrive et voit le scénario. Je la rassure et décide d’accompagner notre enfant à l’hôpital. Marie et Dorothée vont nous rejoindre en voiture. Mais avec la circulation due au plan Covid, l’accès n’est vraiment pas simple.

Marceau n’a toujours pas mangé, il était environ 16 h 00 quand l’accident s’est produit. Le temps nous semble long, mais nous ne sommes pas au bout de nos peines. Pour gagner du temps, les secours décident de prendre le chemin le plus court. Marceau est immobilisé dans l’ambulance, mais le chemin qu’ils prennent est vraiment dégradé. Les arbres n’ont pas été élagués depuis des années et leurs racines ont détruit la route. Ceux qui connaissent le chemin creux de Carpentras savent qu’il n’est pas des plus simples. Je dis au conducteur que le véhicule ne passera pas, mais il m’affirme qu’il connaît bien la route. Au final, il m’avouera qu’il ne pensait pas que ce chemin était dans cet état. En attendant, Marceau est secoué dans tous les sens. Il a mal et l’ambulance prend des coups de partout à tel point que les gyrophares et la carrosserie sont très endommagés. Ce raccourci nous aura finalement fait perdre dix minutes de plus que si nous avions pris la route normale, et les conditions de transport pour Marceau sont horribles.

L’hôpital

Nous voilà enfin arrivés à l’hôpital de Carpentras. Marceau est rapidement pris en charge aux urgences. Il a faim et soif, mais ne peut rien avaler pour le moment. Vers 17 h 30, Marceau passe un scanner. L’urgentiste veut me parler. Pendant ce temps, Marie doit rester sur le parking car un seul adulte peut accompagner les mineurs en raison de la crise sanitaire.

Je vois bien à la tête du médecin que ça ne va pas. Il me dit : « Monsieur Druart, cela va prendre du temps pour soigner votre fils, il ne doit surtout pas bouger, il doit économiser ses forces et attendre les confirmations de mes confrères de l'hôpital de Marseille. » Je demande si ses jours sont en danger, il me répond : « Il est en vie, il faut faire vite. » Je lui demande ce qu’il se passe. Il prend son stylo, touche le pied gauche de Marceau. Pas de réaction.

Mon monde intérieur s’effondre à cet instant. Je comprends ce qu’il veut me dire en préservant Marceau. Nous reculons un peu vers la porte. Je lui demande s’il pourra encore jouer au basket, le médecin me répond : « Monsieur, du sport on peut toujours en faire, nous devons veiller sur sa vie et tout mettre en place pour lui. »

Je vais alors sur le parking rassurer mon épouse, je veux rester optimiste. Je contiens ma peine pour ne pas la stresser. Je veux lui faire comprendre que tout va bien malgré l’importance de l’accident mais que, pour le moment, les médecins attendent d’autres avis et que je dois rester auprès de Marceau. Marie n'est toujours pas autorisée à rentrer dans la chambre et je n’ai pas tout dit.

Il est environ 20 h 30 quand le médecin vient me revoir : « Monsieur Druart, nous ne pouvons pas garder votre fils ici, il doit aller à Marseille mais, avant, il doit subir une intervention chirurgicale. Votre fils a une côte cassée, la côte a perforé le poumon et le choc a décollé la plèvre. On suspecte une fracture de la nuque, ce qui explique la douleur. Son pied gauche ne bouge pas, il ne sent rien, le côté droit semble intact. » Opérer est donc compliqué car les médecins ne savent pas encore par où commencer les interventions. Il ne peut pas bouger et, pour opérer la côte, il faut le placer sur le côté, chose impossible avec sa nuque.

Le monde s’écroule alors pour moi à ce moment-là. Je redemande si Marceau est paralysé, le médecin me répond : « Soyez heureux qu’il soit en vie, nous allons faire tout ce que nous pourrons. C’est la raison d’un transfert en hélicoptère, mais comme son poumon est percé, il ne peut pas se rendre de suite à Marseille pour opérer sa nuque. Il faut premièrement opérer le poumon et ensuite l’envoyer sur Marseille. »

Je viens de me prendre le plus gros choc de toute ma vie. Il y a comme un vide autour de moi et je ne suis pas certain de tout saisir. Maintenant, je dois en informer ma femme. Je décide de tout encaisser, de rester calme et positif. Je ne veux pas que Marie se prenne le même choc. Je demande au médecin l’autorisation de sortir pour prévenir mon épouse. Il accepte et me propose de faire entrer Marie pour que je puisse m’aérer un peu. Je réalise alors à quel point la vie peut soudainement basculer.

Quand le malheur nous touche, il vient s’imposer à nous sans nous demander notre avis. Je prends conscience que l’existence est tellement fragile et que tout ce que nous possédons peut s’écrouler en une fraction de seconde. Cela est vrai pour l’aspect matériel, mais quand il s’agit de la vie d’un enfant, je peux vous assurer que tout prend une dimension différente.

Une série de pensées me traversent l’esprit à propos des priorités de la vie. Je me rends compte alors que je suis passé à côté de moments que j’aurais normalement dû apprécier. À cet instant, je me retrouve seul face à ce qui est arrivé à mon fils. Quelques secondes pour voir tout notre monde s’écrouler.

J’arrive sur le parking. Marie est au téléphone avec Ruth, notre collègue, et Gloria. Gloria, c’est la personne qui nous soutient dans le quotidien de notre ministère pastoral. Elle aussi en a vu des catastrophes et elle sait comment s’y prendre avec nous.

Mais je dois faire vite pour expliquer calmement la situation à Marie. J’ai une boule au fond de la gorge. Je lui demande de m’écouter et de rappeler plus tard. Je lui explique que tout va bien car Marceau est en vie. Il a une côte cassée et une hémorragie au poumon gauche. J’atténue le problème en disant à mon épouse que Marceau va être transporté à Avignon pour bien soigner son poumon et qu’ensuite il ira à Marseille pour sa nuque. J’indique également que les médecins acceptent qu’elle entre pour voir Marceau.

Pendant que Marie est avec notre fils, je me retire et je craque. Je fonds en larmes et je prie. Ma prière n’est pas d’exiger de Dieu quelque chose, mais je lui déclare ma foi, ma confiance en lui.

Je sais que Dieu est capable de changer les circonstances. J’en ai déjà fait l’expérience plusieurs fois. Un texte de la Bible qui me porte le plus souvent me vient à l’esprit : « Dieu est celui qui change le temps et les circonstances(2). »Je ne crois pas que tout peut redevenir normal en un clin d’œil, mais je sais que Dieu va nous porter dans cette épreuve. Et c’est en cela que les circonstances changent.

Face à de telles nouvelles, on se sent seul mais, rapidement, nous pouvons prendre conscience que Dieu est aussi là pendant l’épreuve. Et ça fait un bien fou.

Je décide alors de m’accrocher et de me remonter le moral en lisant la Bible. Ce livre a le pouvoir de vous booster, même dans les voies qui semblent sans issue.

Je ne sais pas vraiment quoi lire. C’est alors que je repense au chant que nous écoutions lors de notre retour de vacances, le fameux psaume. Je n’avais pas lu le passage lors de notre retour de la mer. Alors, j’ouvre l’application de mon téléphone qui permet de lire la Bible à tout moment. Ceci me donne vraiment toute la force dont j’ai besoin pour les jours à venir.

Le chant que nous écoutions en voiture s’intitule « Lord of Hosts(3) » interprété par le groupe Shane and Shane. Le titre signifie en français : « Le Seigneur des armées »

Me voilà en train de rechercher la référence exacte de ce psaume. Mais pour ceux et celles qui me connaissent, les chiffres et moi, nous ne sommes pas amis. Alors que ce chant reprend le Psaume 46, j’ai ouvert ma Bible au Psaume 41. Dans la vie, il n’y a pas de hasard ! Dans ma lecture, je sais que Dieu est venu me rejoindre sur ce parking. Il a une grande envie de me parler au moment où j’en ai le plus besoin. En cliquant sur un chapitre différent de celui que je recherche en réalité, je tombe sur ce verset dont j’ignorais l’existence : « L'Éternel le soutient sur son lit de douleur ; tu le soulages dans toutes ses maladies(4). »

Ça, c’est Dieu, un mot rassurant au moment où il faut. Comment pouvoir dire que Dieu ne parle pas quand nous passons par des moments difficiles ? Si j’avais lu ce passage comme prévu la veille, il n’aurait pas attiré mon attention de cette manière.

Mais, ici, ce verset est véritablement devenu Parole de Dieu pour ma vie. C’est ce qui fait la force de la Bible, elle sait se faire entendre à notre cœur, elle nous donne l’espoir, la vie, la force de continuer. Dans ce passage, rien n’est dit de la réalisation (ou non) de la guérison, mais la Bible parle du soutien de Dieu. Cela me dit tout de sa présence en cet instant. Pour moi, Dieu soutient Marceau quelles que soient les conséquences à venir. Cela est devenu pour moi une certitude qu’il vivra.

Je me mets alors à méditer sur ce passage, je sais que Marie ne va pas sortir de suite… Le Psaume 41 commence par ces mots : « Heureux celui qui s’intéresse au pauvre. » Notre mission au sein de l’Armée du Salut, nous place chaque jour face aux conséquences de la pauvreté. Une pauvreté sociale et spirituelle. Je me sens concerné.

Nous venons du reste de passer des mois à aider et à nourrir les familles les plus démunies durant les confinements. Je m’approprie alors ce texte millénaire : « Au jour du malheur l'Éternel le délivre ; l'Éternel le garde et lui conserve la vie. Il est heureux sur la terre. » Je ressens pleinement la présence de Dieu, sa fidélité au cœur de notre épreuve. C’est comme si j’entendais l’auteur de ce psaume me parler directement et me dire « Dieu soutient ». Cela me fait un bien fou.

Le verbe utilisé, traduit par « soutenir, servir d’appui », m’encourage tellement. J’ai alors cette image de Dieu qui vient me porter au moment où mes forces sont au plus bas. Je prends alors conscience que Dieu sera présent dans ce combat. Et cela s’est confirmé, car à chaque fois que l’on a demandé à Marceau si ça allait, il a répondu chaque jour : « Je fais confiance à Dieu, il m’aide. » Imaginez l’impact de ces paroles provenant de la bouche d’un enfant de tout juste quinze ans. Quel témoignage !

Je me mets alors à prier et à dire à Dieu : « Quelle que soit l’issue, je n’abandonnerai pas ma foi et ma confiance en toi. » Je lui déclare qu’il restera mon Dieu, le seul en qui je garderai espoir même si la pire des situations devait arriver. Je déclare alors franchement que rien ne pourra me séparer de son amour et que je renforcerai encore plus ma foi. Au lieu de donner des ordres à Dieu du genre : « Je déclare la guérison de mon fils » ou encore d’imposer à Dieu la délivrance, je décide de respecter la déclaration qui affirme que Christ est Seigneur comme le dit la Bible. Au lieu de donner à Dieu des directives pour la guérison de mon fils, je me plie au destin en comptant sur son soutien. Je ne tiendrai pas Dieu pour responsable d’une quelconque décision concernant le devenir de mon fils. L’accident est un malheur qui vous tombe dessus. Je ne crois pas que cela arrive parce que Dieu veut nous parler. Pour moi, Dieu n’utilise pas le mal ou le malheur pour parler aux hommes comme beaucoup le prétendent. Toutefois, Dieu nous rejoint dans nos maux, il nous soutient, nous encourage, nous redonne la force, pleure avec nous s’il le faut.

Cependant, je crois aussi à ce moment-là que Dieu est capable de modifier les circonstances. Je veux faire comme les sœurs de Lazare dans l’Évangile : venir informer Jésus de la situation qui me touche. Je décide alors d’accepter sa seule présence. Certes, elle est silencieuse, mais elle parle à mon cœur. Et elle est là, la force de sa Parole. Cette petite phrase va tout changer dans mon regard, dans la manière dont je vais faire face à cette épreuve aux côtés de Marceau, de Marie et d’Ève.

C’est aussi cela le chemin de l’abandon : se laisser guider, porter en toute confiance. Mon caractère est pourtant tout autre. Avec le temps, j’ai appris à m’abandonner entre les mains de Dieu. À chaque fois que j’ai choisi cette attitude, je n’ai jamais été déçu.

Il est plus de 23 h 00 quand Marie sort des urgences pour me dire que Marceau va être transporté à Avignon pour être opéré de son poumon. Je reprends le relais pour effectuer le transport. Marceau a toujours faim et soif mais il ne peut rien prendre et nous sommes en plein été. La seule chose que je peux faire, c’est lui tenir la main, résister à ses cris de douleur, apprécier son calme et son sourire qui ne le quitte jamais.

Marceau reste calme. Lui qui bouge tellement, il se montre patient, attentif et confiant en Dieu. La chaleur de sa main arrive à me réconforter. Je vois mon garçon comme un véritable soldat qui a pris la décision de se battre. Il sait maintenant ce qu’il se passe, les médecins lui ont tout expliqué.

L’équipe médicale qui va le transporter arrive dans la chambre, prend Marceau délicatement pour le placer sur une civière supplémentaire gonflée à l’air. Marceau reste sur sa civière en plastique. Les cailloux dans sa nuque et son dos lui font mal, il a des feuilles dans les cheveux, quelques épines qui traînent encore sur son corps.

Il ne dit presque rien, pourtant il souffre, on le sait. Son doux regard avec ses yeux bleu ciel et son sourire angélique nous placent en paix. Il me parle une dernière fois avant la manipulation pour me dire : « Merci papa de rester avec moi, ça va aller, Dieu est avec nous. »

La civière gonflable est maintenant placée sous Marceau. Les ambulanciers peinent à la gonfler. La pompe est défectueuse. Ça prend du temps et un infirmier finit par trouver une bonne pompe dans l’hôpital. Ils s’y reprennent plusieurs fois, comme s'il fallait en rajouter à notre aventure.

Nous entendons un petit claquement au moment du gonflage de la civière. On apprendra le lendemain que c’est la clavicule gauche qui s’est replacée correctement. De toute manière, plus le temps passe, plus nous apprenons les complications et les risques.

Mais Dieu m’a parlé : « Je le soutiens sur son lit de douleur. » Cette phrase ne me quitte plus, elle me porte, m’inspire confiance. Avec cette parole de Dieu, je suis disponible pour assurer une présence confiante à mon « petit » garçon.

Il est maintenant temps de partir, nous roulons vers Avignon. Je ne vous cache pas le tas de questions qui tournent dans ma tête. Marceau reste calme, ferme un peu les yeux, il est épuisé. Nous voilà arrivés aux urgences pédiatriques d’Avignon. Nous sommes dans le sas d’accueil et l’urgentiste n’est pas informée de notre arrivée ! Elle décide de regarder le scanner et se fâche : « Comment ont-ils pu prendre le risque de nous apporter cet enfant, la moindre manipulation peut compliquer davantage les choses… Vous repartez de suite vers Marseille ! Pas question de le prendre en charge ici, c’est trop grave ! Il doit se rendre en réanimation pédiatrique, filez rapidement ! » Vous imaginez la volte-face ! Aucune pédagogie pour parler aux ambulanciers et en plus devant moi ! Heureusement que Marie n’est pas encore arrivée ! Mais à cet instant, Dieu va agir. C’est ici que Dieu a commencé à prendre les choses en main sur le plan médical. Je dis « sur le plan médical » car au moment de la chute de mon fils, Dieu avait déjà posé sa main sur lui. Vous comprendrez pourquoi plus loin.

Un médecin du service réanimation adulte passe dans le couloir juste au moment où l’urgentiste se fâche. Il demande des explications. Il donne alors un coup de fil à son collègue. La conversation dure quelques minutes entre les médecins d’Avignon et ceux de Carpentras. Nous sommes toujours dans le couloir. Imaginez la situation. L’urgentiste pédiatrique nous transfère alors en réanimation adultes et nous restons à Avignon. Ce médecin de réanimation est, pour moi, envoyé par Dieu.

L’idée est bien d’opérer le poumon de Marceau et d’arrêter l’hémorragie interne. Ensuite, Marceau sera, comme prévu, transféré en hélicoptère vers Marseille pour sa nuque.

Voir notre fils en réanimation n’est pas rassurant, mais il est pris en charge par une équipe bienveillante. Les jeunes de son âge dans ce service sont rares et Marceau sera chouchouté par les soignants.

Le docteur de passage dans le couloir va s’occuper de Marceau. Il fait sourire notre garçon et nous explique qu’il connaît bien ce problème. Quelques années plus tôt, son fils est aussi passé par là avec les mêmes problématiques. Il décide donc de prendre Marceau en charge et de veiller personnellement sur lui. On sent que ce médecin prend Marceau à cœur. C’est ici que nous voyons une fois de plus la promesse de Dieu en action : « Je le soutiens sur son lit de douleur. » Je vois ainsi, à chaque fois, comment Dieu prépare les choses. Ce qui semblait être une erreur de transfert d’hôpital n’est autre que le plan de Dieu pour mon fils. C’est une certitude pour moi.

Toutes les heures, on effectue un prélèvement sanguin pour vérifier le taux d’hémoglobine. Il est 5 h 00 le lendemain matin, Marceau va repasser un scanner pour vérifier sa nuque. Entre-temps, nous apprenons que l’hémorragie au niveau du poumon s’est arrêtée. Vers 6 h 00, Marceau repasse son scanner, il ne peut toujours pas manger ni boire. Aux environs de 8 h 00, le médecin nous dit qu’ils veulent comprendre ce qui se passe avec sa nuque pour intervenir, et qu’une réunion d’équipe va avoir lieu avec des spécialistes de Marseille.

En attendant, Marceau est toujours immobilisé, mais le médecin accepte qu’il boive un peu d’eau. C’est terrible de voir Marceau appareillé de partout. Il garde le sourire malgré la douleur. Pour le moment, la situation reste stable. Les médecins surveillent sa saturation. Marie est rentrée se reposer pour ensuite assurer le relais. Je continue de prier et de dire : « Seigneur, je veux te faire confiance dans ce combat. Je remets mon fils entre tes mains. Quoi qu’il advienne, tu es là et tu seras toujours à nos côtés. » À ce moment, j’accepte toute circonstance, tant que mon fils est en vie.

De son côté, Marie a créé un groupe de personnes qu’elle tient informées. Elles vont nous soutenir dans la prière durant toute cette épreuve. Et cette force va venir nous rejoindre dans la bataille.

Le médecin prend un objet pointu, touche son pied gauche. Celui-ci se met à réagir ! Marceau bouge également ses doigts. Nous sommes soulagés.

Auteurs
Michaël DRUART

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Daniel 2.21.
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https://www.youtube.com/watch?v=2emelR7lGmw, consulté le 20 mars 2024.
4.
Psaumes 41.4.

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