À l’époque de King, la couleur détermine l’identité de chacun aux États-Unis. Elle induit chez le Noir une haine de soi et chez le Blanc une survalorisation. Le Noir doit se réapproprier ce qu’il est pour pouvoir s’accepter véritablement, tant la couleur de sa peau que son nom.
Ironique pour mieux convaincre
« À bien y regarder, nous avons commis trois péchés, précise King avec humour, en 1956. Celui d’être nés noirs, celui de subir les coups de la ségrégation et de l’oppression, et celui d’avoir eu le courage moral de nous lever et d’exprimer notre lassitude de l’oppression. » Le pasteur révèle ainsi les ravages du racisme et de la ségrégation ; plus encore que le refus de l’altérité, sa négation.
Celui qui subit le racisme est donc conduit à retrouver son identité, plus qu’à la défendre. C’est dire que les comportements, les attitudes, régis par le racisme ne troublent pas ou ne déséquilibrent pas seulement la vie sociale, mais ils insinuent un mensonge au niveau des rapports humains.
Combattre les causes plutôt que les effets
King en vient progressivement à considérer le racisme comme un « fléau » qui manifeste concrètement le péché de l’être humain, c’est-à-dire le ratage de toutes ses propres tentatives dans l’établissement d’une échelle des valeurs. S’il qualifie de « péché » le racisme, c’est que cette réalité traduit à ses yeux une dramatique analogue à celle méditée dans les premiers chapitres de la Bible, où l’être humain se perd parce qu’il ne (re)connaît plus (son) Dieu. Du coup, il renonce à lui-même, veut être comme… et échoue en choisissant une voie mortifère, étant incapable d’assumer ce qu’il est.
Un vrai cancer…
« Celui qui définit les gens en fonction de leur couleur, écrivait James Baldwin, devient délibérément aveugle. Il n’y a pas un seul raciste dans ce monde qui ne soit un menteur et un lâche. Car être raciste, c’est s’imaginer qu’on peut soumettre la réalité à son angoisse. » Et King de renchérir, alors qu’il est de plus en plus conscient de la gravité de ce cancer sociétal : « Le racisme est une foi, une forme d’idolâtrie… Son ultime logique, c’est le génocide et par ailleurs cela suggère avec une extrême arrogance que Dieu a commis une erreur de création. »
… source de bien des maux
En devenant foi, le racisme opère un retournement dramatique conduisant à une perversion du sens dont le génocide est le signe terrible. Shoah ou extermination du peuple indien ne sont pas des accidents de l’Histoire, mais les conclusions extrêmes de systèmes pour lesquels l’identité de l’un se croit constamment menacée par celle de l’autre au lieu d’en être structurée. Car c’est sous le regard de l’autre, tout à la fois proche et différent, que chacun se découvre. Dans son altérité irréductible, l’autre humain, quel qu’il soit, est visage de cet Autre (Dieu) qui appelle tant à la reconnaissance de soi que de celle d’autrui.
Je fais un rêve
Tant que l’autre, d’une couleur de peau différente, est invisible, transparent ou trop visible, et considéré comme un être inférieur, toute fraternité reste(ra) un vœu pieu, une belle déclaration sans lendemain.
Autant dire que la Communauté bien-aimée, notion si chère à Martin Luther King, ne commence(ra) à s’ériger que par la prise en compte de l’humanité de l’autre : « Je rêve qu’un jour, … les petits garçons et les petites filles noirs, les petits garçons et les petites filles blancs, pourront tous se prendre par la main comme frères et sœurs. » Ce rêve est encore celui de tant d’hommes et femmes.
Toujours d’actualité
Et si, dans les années 60, aux États-Unis, le mot intégration avait partie liée aux questions raciales, il a aujourd’hui élargi sa signification et concerne tous les espaces. Ce sont, non seulement, les questions d’égalité raciale qui sont en jeu, mais bien d’autres encore : religions, cultures, langues, genres, orientation sexuelle, etc. Les défis à relever ne manquent pas.
Comme les prophètes d’autrefois
King a tenté de saisir les conditions nécessaires pour que la valeur de tout être humain soit reconnue. Et de proposer une parole, stimulante, d’une rare exigence : « Aussi étrange que cela paraisse, je ne pourrai jamais être ce que je suis appelé à être, que lorsque tu seras ce que tu es appelé à être. Tu ne pourras jamais être ce que tu devrais être que lorsque je serai ce que je suis appelé à être. » Ces mots sont d’une troublante actualité. La tâche est immense.
Rire pour ne pas pleurer
Lorsque King est enfant, une plaisanterie très populaire circule aux États-Unis : « Un maître conduit un jour son serviteur Sam dans un studio de radio pour apporter son témoignage sur la façon dont les Noirs sont traités dans son État :
— Voilà. C’est un microphone, Sam. Tu peux t’exprimer.
— C’est le microphone, maître ?
— Exactement.
— Et quand je parle, tout le monde m’entend ?
— Exactement, Sam.
— Même dans le Mississippi ? Partout ?
— Sûr, Sam. Vas-y, témoigne.
Alors Sam s’approche du micro, le saisit à pleines mains et hurle : « AU S’COURS !!! »
De telles histoires furent des actes de résistance pour survivre, tout comme celles qui ont circulé dans les pays de l’Est à l’époque du rideau de fer. L’humour exprime alors l’indicible et dénonce l’injustice d’un racisme structurel ou d’un système politique inique.
Tristes réalités
Big Bill Broonzy chantait : « Si t’es blanc, c’t’en ordre. Si t’es brun, t’approche pas trop. Si t’es noir, dégage ! »
Ralph Ellison écrivait : « Je suis un homme qu’on ne voit pas… Mon invisibilité n’est pas davantage une question d’accident biochimique survenu à mon épiderme. Cette invisibilité dont je parle est due à une disposition particulière des yeux des gens que je rencontre. Elle tient à la construction de leurs yeux internes, ces yeux avec lesquels, par le truchement de leurs yeux physiques, ils regardent la réalité. »