Cet ingénieur était venu suivre une formation à la gestion du temps. Comme il était très performant, sa direction lui confiait toujours plus de projets, toujours plus de missions et il lui manquait toujours plus de temps. Il venait donc en stage pour acquérir des techniques pour en faire plus. À travers un exercice, il s’est rendu compte qu’il ne faisait plus depuis dix ans ce qu’il aimait le plus au monde : jouer au golf. Il est parti de la formation avec la ferme décision de programmer dans son emploi du temps une après-midi par semaine pour jouer à son sport favori.
Il était venu en stage avec un chronomètre : « Aidez-moi à en faire plus » et il est parti avec une boussole : « Je vais me donner du temps pour faire ce qui est important pour moi. »
Entre passé et avenir
Le seul temps sur lequel nous avons prise est le moment présent. Car le passé n’existe plus et l’avenir n’existe pas encore.
Or, ce présent ne dure que quelques instants avant de lui-même disparaître dans ce passé qui engloutit toute notre vie.
« Le moment où je parle est déjà loin de moi », disait Boileau.
Ce court présent nous échappe trop souvent parce qu’il se remplit en permanence de souvenirs, de regrets, de craintes, de projets, d’idées intéressantes ou farfelues, de pensées positives ou négatives, d’émotions plus ou moins partagées…
Qu'il est difficile d’être présent à soi-même et d’être présent aux autres !
Vivre le moment présent est difficile mais c’est un chemin de bien-être. Sauf, bien sûr, quand on est dans le deuil, dans la maladie ou dans quelque malheur.
Vivre sans regretter le passé
C’est dans le malheur que beaucoup de gens réalisent qu’avant ils étaient heureux et ne s’en rendaient pas compte. Ne serait-il pas plus sage de profiter de chaque moment que Dieu nous donne aujourd’hui afin de ne pas avoir de regrets plus tard ?
Vivre « le moment présent » n’est pas identique à vivre « dans le moment présent ». Nous vivons tous dans le moment présent, mais quelquefois de façon superficielle, sans nous en rendre compte, comme nous l’avons vu ; nous passons d’une activité à une autre, d’une pensée à une autre, et nous terminons la journée sans y avoir pensé. Nous risquons de subir le présent.
Vivre le moment présent c’est au contraire accorder de l’importance à ce qui se passe ici et maintenant, se réjouir au sourire d’un enfant, boire un verre d’eau avec la même satisfaction que celui qui est perdu dans le désert, bref être présent à soi-même.
« Bonheur, je ne t’ai reconnu qu’au bruit que tu fis en partant. »
Raymond Radiguet
Faut-il oublier le passé ?
Le passé n’existe plus mais il est néanmoins présent en nous. Il nous influence sans que nous en ayons conscience. L’analyse transactionnelle nous rappelle que nous avons une partie de notre personnalité, qu’elle appelle « parent », qui est constituée de toutes les influences reçues principalement dans notre enfance par des figures d’autorité ; ces messages font maintenant partie intégrante de notre personnalité et expliquent même une partie de notre comportement actuel.
Mais ce passé n’existe que dans notre cerveau ; il n’a plus de réalité propre ; pire il n’est jamais exact. Il se déforme et se reforme en permanence ; nos souvenirs ne sont pas comme des objets qu’on mettrait dans un tiroir et qu’on retrouverait intacts dix ans après ; les neurosciences nous rappellent que nos souvenirs sont des représentations que nous remodelons en permanence. Il faut se méfier de nos souvenirs, surtout s’ils nous affectent ; ils ne sont pas toujours fiables.
Si le passé s’impose à nous sans que nous en ayons conscience, il est quelquefois utile de le rappeler volontairement à notre esprit.
« Les peuples qui ne réfléchissent pas sur leur passé sont condamnés à le revivre », écrivait le philosophe américain Georges Santayana. Cela vaut aussi pour les individus. Combien de personnes retombent dans les mêmes erreurs et revivent en permanence durant toute leur vie les mêmes scénarios d’échec sans pouvoir en sortir.
Il est donc indispensable de tenir compte du passé pour mieux vivre le présent et pour préparer l’avenir.
Préparer l’avenir
Déjà La Fontaine nous y rendait attentif avec sa fable : « La cigale et la fourmi. » La cigale est le symbole de ceux qui n’anticipent pas et se trouvent plus tard « fort dépourvus ».
Que pouvons-nous en dire ? Si le passé n’existe plus, l’avenir n’existe pas encore ; dans une certaine mesure, il existe quand même, mais lui aussi uniquement dans notre cerveau. Nous faisons des projets, mais nous ne savons pas de quoi demain sera fait.
Souvenons-nous de ce proverbe yiddish : « L’homme fait des projets, et Dieu rit. » Il est très proche de cette histoire où Jésus parle d’un homme qui fait des plans pour développer ses richesses et à qui Dieu dit « insensé, tu mourras cette nuit* ».
Savoir que l’avenir ne nous appartient pas ne doit pas nous empêcher d’y penser. Par contre, il ne doit pas être un sujet d’anxiété. On peut l’envisager avec confiance quand on a Dieu pour père.
En physique, l’espace et le temps sont deux notions inséparables qui s’influencent l’une l’autre ; ce sont deux versions d’une même entité. D’où l’expression « espace-temps ».
Pour nous, humains, le temps et la vie sont deux notions inséparables qui se superposent. Dans l’alchimie du passé, du présent et du futur, je peux essayer de vivre pleinement ce petit bout de temps qu’on nomme « présent », que Dieu m’accorde, en étant reconnaissant pour le passé, et en ayant foi en lui pour l’avenir.
* Luc 12.20
Notre cerveau n’oublie rien
On peut le comparer à une bibliothèque qui contient des centaines de volumes avec toutes nos expériences, nos affections, notre éducation, nos rencontres, nos moments de joie et nos moments de tristesse… Ces souvenirs heureux ou malheureux, tristes ou joyeux, exaltants ou traumatisants, se trouvent dans ces pages jamais effacées même si nous n’en sommes pas conscients.
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