Comment est née cette prédication
Nourrie par une réflexion d’Étienne Lhermenault sur le ministère pastoral et par une prédication donnée par ce dernier à l’occasion du culte d’installation du Pasteur Paul Npungu(1), la prédication suivante a été préparée, quant à elle, en vue de l’installation du Pasteur Jean Berger(2) en octobre 2014. L’une des difficultés de cet exercice homilétique particulier est sans doute liée à la diversité de l’auditoire en présence. Située dans un culte « officiel », la prise de parole doit tenir compte de la présence (espérée) des autorités de la ville, voire des médias invités. De la famille aussi. Le patois de Canaan doit ainsi être particulièrement proscrit. Et en même temps, c’est bien à une communauté chrétienne concrète que le message doit d’abord s’adresser, afin d’éclairer celle-ci et l’encourager en vue de l’accueil d’un nouveau ministre. Enfin, c’est précisément ce ministre que la prédication vise, en vue de « l’installer » dans sa nouvelle charge. De la prise en compte de ces trois visées dépendra la réussite de l’exercice. Nous nous y sommes risqués. À vous de l’apprécier.
La prédication
Pas plus tard qu’hier, en faisant un peu de rangement, je suis retombé sur un petit feuillet de méditations bibliques que m’avait offert un paroissien à l’issu d’un culte. Un feuillet intitulé : Aimez votre pasteur… J’avais accueilli ce billet comme un mot doux, un signe d’affection et de soutien – toujours bon à prendre... Et voilà ce que l’on pouvait y lire :
Dur, dur d’être pasteur. Un pasteur reçoit plus de critiques que d’éloges. S’il est jeune, il manque d’expérience ; mais s’il a des cheveux blancs, sera-t-il assez dynamique pour revitaliser notre projet d’Église ? Si sa femme chante dans la chorale, elle parade ; sinon elle n’est pas assez dévouée. S’il prêche en lisant ses notes, il n’est pas inspiré ; s’il improvise, il est trop superficiel et pas assez préparé. S’il vient avec des améliorations, des idées pour changer les choses, c’est un dictateur ; s’il ne le fait pas, il n’a aucune vision. S’il prend trop d’exemples dans sa prédication, il néglige le texte biblique ; mais s’il ne déploie pas assez d’anecdotes illustratives, il n’est pas clair, pas assez proche de notre vécu. S’il dénonce le mal et prêche la vérité, il heurte les sensibilités ; s’il ne le fait pas, il est tiède, c’est un mou. Etc.
Nos besoins et nos attentes sont tellement divers et, reconnaissons-le, nous voulons parfois un peu tout et son contraire : le beurre et l’argent du beurre, et bien souvent la crémière avec… (je parle ici, vous l’aurez compris, de la femme du pasteur !). Et l’arrivée d’un nouveau pasteur dans une Église est l’occasion utile de rappeler à chacun, autorités, communauté et visiteurs, et à toi Jean bien sûr, ce qu’est cette fonction, cette vocation, ce drôle de métier…
Pour cela, j’aimerais nous inviter à la méditation d’un texte biblique. Il est tiré de la première épître de Pierre au chapitre 5 et nous en lirons les sept premiers versets.
« 1 Je ferai, à présent, quelques recommandations à ceux parmi vous qui sont responsables de l’Église. Je leur parle en tant que responsable comme eux et témoin des souffrances du Christ, moi qui ai aussi part à la gloire qui va être révélée.
2 Comme des bergers, prenez soin du troupeau de Dieu qui vous a été confié. Veillez sur lui, non par devoir, mais de plein gré, comme Dieu le désire. Faites-le, non comme si vous y étiez contraints, mais par dévouement.
3 N’exercez pas un pouvoir autoritaire sur ceux qui ont été confiés à vos soins, mais soyez les modèles du troupeau.
4 Alors, quand le Chef des bergers paraîtra, vous recevrez la couronne de gloire qui ne perdra jamais sa beauté.
5 Vous de même, jeunes gens, soumettez-vous aux responsables de l’Église. Et vous soumettant tous les uns aux autres, revêtez-vous d’humilité, car l’Écriture déclare : Dieu s’oppose aux orgueilleux, mais il accorde sa grâce aux humbles.
6 Tenez-vous donc humblement sous la main puissante de Dieu, pour qu’il vous élève au moment qu’il a fixé.
7 Déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, car il prend soin de vous. »
Il est question, dans ce texte, de notions difficiles : on nous parle de modèle, de soumission et de soumission mutuelle, d’humilité dans nos rapports mutuels dans le cadre d’une vie communautaire exigeante… Autant de notions, reconnaissons-le, pas franchement « fun », voire franchement ringardes, et qui pourraient probablement heurter notre sensibilité contemporaine, nous qui chérissons par-dessus tout notre liberté, qui visons comme une fin enviable notre accomplissement personnel et – même si nous n’osons pas toujours nous l’avouer – le désir d’être quelqu’un au regard social, de compter dans la communauté, d’être reconnu, élevé. Alors bien sûr pas ici, pas dans cette Église ; je sais que vous êtes des gens formidables… Mais dans mon Église oui, dans mon cœur oui, il y a cette tentation qui demeure et Pierre vient ici avec toute la sagesse de l’Évangile pour nous prévenir, nous encourager et nous « installer » dans la pensée du Christ – lui qui a été le pasteur-serviteur par excellence. Il nous engage, par elle, à une vie communautaire qui sera faite non plus de rapports heurtés, de dominations, de rivalités, d’élévations les uns contre les autres, mais une vie communautaire les uns pour les autres – membres, pasteur, jeunes, anciens, conseillers d’Églises, serviteurs – et prenant soin les uns des autres pour croître et vous élever ensemble afin d’être témoins de cette nouvelle humanité réconciliée que Dieu se forme en Jésus-Christ.
Sans prétendre épuiser la richesse de ce texte, j’aimerais néanmoins attirer notre attention sur trois points qui pourraient encourager votre vie ensemble – toi Jean, toi Église – dans le sens de l’Évangile.
1. Votre pasteur n’est pas Jésus !
Premier point – et j’aimerais ne pas faire tomber trop d’illusions aujourd’hui –, mais votre nouveau pasteur, Jean, s’il est appelé à être un modèle (et il l’est !) n’est pas Jésus pour autant... Qu’est-ce à dire ?
Je reprends ici les propos du Pasteur Étienne Lhermenault : il ne faut pas vous tromper de cible dans votre foi. Le pasteur ou les membres du collège pastoral, ou les anciens, sont des témoins du Christ, comme vous l’êtes aussi, et non ses représentants sur la terre. Pour le dire autrement et sans polémique inutile, le pasteur n’est pas un prêtre au sens où il n’est pas un être à part dans la communauté chrétienne. Il demeure un frère ou une sœur parmi d’autres et au même titre que les autres… Il n’est pas l’intermédiaire entre la communauté et Dieu et n’intercède pas en votre faveur comme s’il était mieux écouté ou plus proche de Dieu que vous, mais il intercède avec vous ; comme vous, il cherche la face de Dieu pour discerner et vivre au mieux l’Évangile. Alors, de grâce, ne cédez pas à la tentation de l’investir, ce pasteur, d’une image trop haute, tant il est commode de se reposer sur des hommes, visibles, plutôt que sur le Dieu invisible et vrai, celui sur qui nous pouvons, nous dit Pierre, nous décharger de tous nos fardeaux et à qui nous pouvons remettre notre vie.
Le cœur du rôle pastoral est précisément celui-ci : de conduire des hommes et des femmes à toujours mieux se confier en Jésus-Christ, à lui ressembler toujours davantage sur un chemin de maturité et de croissance, à tenir le rythme de la foi au milieu des épreuves qui ne manqueront pas. Dans ces moments-là, Jean sera là pour vous porter une parole d’Évangile, d’encouragement et d’espérance, et prier avec vous, à vos côtés.
Ne vous trompez donc pas de cible dans votre foi car c’est ce que nous faisons, je le crains, à chaque fois que nous attendons de notre pasteur une totale et immédiate disponibilité, comme une sorte de « doudou spirituel » ; que notre foi vacille quand le pasteur ou les responsables de l’Église nous déçoivent ; que nous espérons qu’il vienne prendre en charge et résoudre à notre place nos problèmes ou que nous ne comptions que sur lui pour nourrir notre foi, à la becquée dominicale.
Le texte que nous avons lu, si nous l’écoutons bien, condamne aussi les illusions – je le pointais tout à l’heure – que nous pourrions nous faire sur le pasteur. Comme chacun d’entre nous, il est un être faillible et pécheur, en chemin, témoin comme vous l’êtes de la grâce et du pardon offert et renouvelé chaque jour en Jésus-Christ. Il ne faudrait surtout pas se tromper sur cette notion de modèle du troupeau. L’Écriture n’entend pas par là la perfection de celui qui serait arrivé et qui surplomberait du haut de sa sainteté le reste du troupeau, ni n’entend par là la qualité de celui qui serait habité par la plénitude de tous les dons.
Je me souviens avoir eu une conversation passionnante récemment avec une amie africaine, femme de pasteur dans une communauté dite ethnique. C’était à l’occasion d’un repas offert par la communauté pour l’anniversaire des cinq ans de cette jeune Église. Nous mangions côte à côte et je lui disais combien il était agréable (et un peu surréaliste) pour un pasteur occidental comme moi d’être au bénéfice de tant d’égards. J’avais en effet été accueilli comme un prince, on me servait du « Monsieur le pasteur », siégeant à la table d’honneur avec les autres pasteurs présents. Aux petits soins… Et ceux qui connaissent la culture africaine savent combien les anciens, les personnes en position d’autorité et les pasteurs sont éminemment considérés et couverts d’égards particuliers. Mais cette amie m’a aussi confié que le danger impliqué, par le fait d’être ainsi mis sur un piédestal, était que la chute n’en était que plus raide. Et qu’il était difficile dans cette conception des choses qu’un pasteur puisse avoir une faiblesse, commettre une faute et que celles-ci lui étaient difficilement pardonnées quand elles survenaient ou devenaient publiques.
Mes amis, usez de grâce, de patience, de bienveillance, de compréhension et d’espérance ; entourez Jean, dans son nouveau rôle, de prières et d’encouragements. Combien le pasteur en a besoin. Il n’est pas un surhomme, au-dessus de la mêlée, mais seulement un homme, avec ses combats, ses défis, ses fatigues et ses épreuves. Pensez aussi à sa famille, entourez-la d’une prière fervente, d’attentions et de bénédictions. Elle en a aussi un grand besoin, croyez-moi !
En réalité, lorsque la Bible nous parle du pasteur comme modèle du troupeau, elle désigne par là celui qui, par la qualité de sa dépendance à Dieu, par sa fréquentation régulière et nourrie des évangiles et le rayonnement de sa foi – une foi confiante et simple, ni triomphante ni parfaite mais vraie – aura cette capacité d’attraction qui vous donnera envie, soif de Dieu, et vous conduira naturellement à Jésus et à une intimité plus grande avec lui.
Nous pourrions résumer cette première partie par cette formule : votre pasteur n’est pas au-dessus de vous pour que vous attendiez tout de lui, il n’est pas Jésus. Il n’est pas non plus au-dessous de vous comme l’employé de service, l’homme à tout faire de l’Église, mais il est tout simplement devant vous parce que le Seigneur l’y a appelé – lui a adressé cette vocation particulière, celle de pasteur du troupeau – non pas pour la « gloriole » et pour dominer (il n’y a pas de « chouchou » ou de privilégié dans le royaume de Dieu), non pas pour se servir, mais pour servir votre foi, et vous entraîner à la suite de Jésus-Christ en lien avec les autres responsables de l’Église.
2. Vous n’êtes pas des saints...
Votre pasteur n’est pas Jésus, il n’est pas un saint et – deuxième illusion que je vais peut-être ruiner aujourd’hui – vous ne l’êtes pas non plus !
Si notre texte encourage le pasteur et les responsables de l’Église à être de bons modèles de foi, il nous invite aussi, nous chrétiens, à être des personnes soumises, à l’écoute. Nous l’avons vu, il ne s’agit certainement pas de confier les rênes de votre vie à un homme, à un gourou. Jean est tout sauf cela. Mais il s’agit au contraire, par une disposition d’humilité, de vous donner les moyens de croître dans votre maturité personnelle et communautaire en reconnaissant fondamentalement deux choses :
Premièrement, le fait que vous êtes de jeunes gens sous le rapport de la foi, des disciples de Jésus-Christ appelés à grandir, à mûrir dans la foi et que, pour cela, Dieu dans sa providence appelle, forme et vous donne des pasteurs qui, par leur ministère de la Parole et dans des contextes variés – du haut de la chaire, dans des petits groupes ou dans des entretiens privés – vont pouvoir vous ouvrir à une compréhension plus profonde et renouvelée des Écritures, vous aidant à réfléchir à comment vivre l’Évangile concrètement aujourd’hui, dans telle ou telle situation.
Deuxièmement, par le fait que grandir dans la foi – et je sais que c’est un thème particulièrement cher à Jean – est une affaire communautaire. C’est dans la communauté que je suis appelé à vivre, servir et grandir, et que cette communauté que Dieu me donne, dans laquelle il m’inscrit et à laquelle j’appartiens fondamentalement, est comme tout corps social appelée à être organisée, structurée pour une saine croissance. Et que pour cela, Dieu donne des ministères d’articulation, de pilotage pour mettre en route, en œuvre concrètement la volonté du Christ pour son Église. Cette volonté est au cœur de notre compréhension baptiste de l’Église et nous sommes, certes, tous appelés à la discerner, tous habités par la sagesse donnée par l’Esprit… Mais quand il s’agit de passer à l’action concrète, nous sommes appelés à la soumission mutuelle, rangés en ordre de bataille, sous la conduite des responsables et selon le don et la place propres à chacun.
Mes amis, nous ne sommes pas des saints et l’Église est précisément le moyen de grâce que Dieu nous donne pour former notre caractère. Jean et les responsables de l’Église sont là pour vous enseigner, vous déranger peut-être, vous encourager toujours et vous accompagner ainsi dans votre service chrétien au bénéfice de la communauté et du monde qui nous entoure. Je finis juste ce deuxième point en vous engageant à aider Jean dans son ministère de conducteur. Étienne Lhermenault, encore lui, a coutume de dire que le grand défi du pasteur est d’être payé par des bénévoles pour les mettre au travail… Vous avez signé pour cela, alors jouez le jeu, joyeusement ; avec élan et simplicité, mettez-vous au service les uns des autres.
3. … Mais soumettez-vous tous les uns aux autres, revêtez-vous d’humilité.
J’ai acheté et commencé à lire cette semaine le roman qui a probablement fait le plus de bruit dans cette rentrée littéraire : Le Royaume d’Emmanuel Carrère. Prix littéraire du journal Le Monde, un vrai bijou d’écriture. Et le Royaume dont il s’agit est précisément celui des évangiles. Écoutez plutôt…
« Préférer être plutôt pauvre que riche, faible que fort, malade que bien-portant, dominé plutôt que dominant, abdiquer une position de force, cette extravagante inversion des valeurs a de quoi surprendre. Et puis on commence à comprendre. On commence à voir l'intérêt, c'est-à-dire la joie, la force, l'intensité de vie qu'ils tirent de cette conduite en apparence aberrante. Alors on n’a plus qu'un désir, c'est de faire comme eux ». Une contamination par la ferveur, en quelque sorte .
Voilà ce renversement que Dieu veut opérer dans la communauté chrétienne, dans votre communauté chrétienne. Le projet d’une humanité nouvelle, belle, que Dieu veut voir surgir dans l’Église et par l’Église, la Bonne Nouvelle du règne de Dieu qui arrive. Dans cette nouvelle réalité, qu’il fait bon vivre !… Les uns au service des autres, revêtus d’humilité et de grâce et cultivant le plaisir de chercher l’intérêt de l’autre plutôt que le sien propre. Voilà la clef de ce royaume, voilà la clef d’une Église en bonne santé qui va faire du bien autour d’elle et rayonner dans la cité.
Jean, que notre Seigneur te soutienne et te tienne fidèle à l’esprit de l’Évangile dans cette belle vocation de service qu’il t’adresse, que tu sois pour cette communauté de croyants un bon modèle, qui donne envie et soif de Jésus-Christ.
Église réunie en ce lieu, que le Seigneur te comble de sa vie et de sa grâce, de toutes sortes de grâces et que tu demeures fidèle à cette vocation d’humilité, à cet esprit de l’Évangile ! C’est alors que tu porteras du fruit.
Amen !