Le contexte
Au centre de ces chapitres 32 et 33 de la Genèse, il y a ce récit singulier où Jacob lutte avec cet homme que le prophète Osée identifie à un ange (Osée 12.5) et Jacob à Dieu comme il le dit au verset 30. Ce face à face avec Dieu va transformer, métamorphoser Jacob. Non seulement physiquement puisqu’il boitera, mais aussi personnellement comme l’indique son changement de nom. À la fin du récit, il ne s’appelle plus Jacob mais Israël. C’est la première fois que ce nom, Israël, apparaît dans la Bible et, par la suite, il désignera le peuple élu. Le récit attire lui-même notre attention sur ce point qui marque un avant et un après. En effet, le nom Mahanaïm que Jacob donne à ce lieu signifie « les deux camps ». C’est comme si le récit se situait entre deux mondes, deux espaces-temps, deux moments :
- Le monde d’avant où Jacob était un fugitif – il a d’abord fui la colère de son frère Ésaü qui en voulait à sa vie puis il s’est enfui de chez son oncle Laban qui le maltraitait ;
- Et le monde d’après où Jacob va faire face à ses peurs en se réconciliant avec son frère.
Car Jacob, vingt ans auparavant, avait fui la colère de son frère Ésaü parce qu’il avait usurpé le droit d’aînesse et la bénédiction paternelle qui revenaient de droit à son frère. Il n’avait alors que son bâton comme il le reconnaît lui-même dans sa prière (11). Vingt ans plus tard, le voilà de retour avec, cette fois, ses femmes, ses enfants, ses serviteurs, un cheptel important mais aussi avec la peur au ventre ! Beaucoup de choses ont changé durant ces années pour lui. Il n’est plus le jeune fugitif parti sans rien. C’est un adulte à présent, avec de l’expérience, des biens et une grande famille. Et pourtant, au fond de lui, c’est comme si rien n’avait changé. Quand il apprend que son frère vient à lui avec 400 hommes, Jacob a peur comme au premier jour. Alors que le récit ne nous dit rien sur les intentions d’Ésaü, Jacob perçoit cette arrivée en force comme une menace. Sa conscience le travaille comme au premier jour. « Il est saisi d’angoisse », nous dit le texte (8).
Il faut dire qu’Ésaü avait promis de se venger de son frère en le tuant (Genèse 27.41). La trahison de Jacob avait suscité dans son cœur une haine profonde. Aussi de retour au pays, Jacob craint plus que tout cette vengeance. Ce frère jumeau représente pour lui l’ennemi numéro 1, celui qui cherche à le détruire quoi qu’il arrive ! Mettons-nous à sa place ! Quels seraient nos sentiments à l’idée que nous allons affronter ce soir la personne qui en veut le plus à notre vie ? Certes, vingt ans se sont écoulés mais, pour Jacob, c’est comme si c’était hier. Les sentiments, les ressentiments enfouis pendant si longtemps refont surface avec la même intensité. Ils sont aussi intacts qu’au premier jour. C’est comme un ballon maintenu sous l’eau pendant un certain temps sans se dégonfler, quand il est libéré, il remonte d’un coup à la surface sans que rien ne puisse l’arrêter.
Que fait Jacob ?
Deux choses :
- D’abord, il élabore un plan afin d’amadouer son frère et de calmer sa colère. On reconnaît bien là Jacob, le rusé, toujours prêt à trouver un moyen pour s’en sortir !
- Mais, et c’est plus rare, Jacob prend aussi le temps de prier Dieu car il comprend sûrement que cette fois l’heure est grave et que si cela tourne mal, il ne pourra pas fuir comme il l’a fait jusque-là. Pour le dire clairement, Jacob voit qu’il ne contrôle pas vraiment la situation. Il sent bien que ses stratagèmes ne suffiront sans doute pas, cette fois, à le sortir d’affaire. Jacob est à la croisée des chemins. Il se souvient du vœu qu’il a fait à l’Éternel vingt ans plus tôt (28.21) et de la promesse de Dieu, mais il sait que tout peut basculer d’un instant à l’autre. Alors que tout ce qu’il a construit jusqu’ici à la force de ses bras peut disparaître d’un coup, Jacob prie comme jamais il n’a prié jusque-là.
Arrêtons-nous un instant sur sa prière avant d’en venir au plan que Jacob élabore....