Nous sommes en 50 avant, ou bien en 2002 après Jésus-Christ. Vous choisirez. Toute la Gaule est occupée par les Romains. Toute ? Non ! Un village peuplé d'irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l'envahisseur. Et la vie n'est pas facile pour les garnisons de légionnaires romains des camps retranchés voisins.
C'était un dimanche matin. Un dimanche matin très particulier. Pour la première fois en effet, quatre Gaulois, avec les membres de leurs familles, se trouvaient ensemble. De manière curieuse, ils s'étaient retrouvés chez Ecuménix. Je dis « de manière curieuse », parce qu'Ecuménix avait été pour chacun d'entre eux un sujet de débats, souvent houleux, et parfois non clos. Ecuménix avait une grande maison, et on devait au moins lui reconnaître cette générosité de la mettre à disposition. Ceci dit, plusieurs n'y étaient jamais venus et ils jetaient un regard à la fois curieux et inquiet autour d'eux.
Tout ça, c'était la faute d'Alliansévangélix. C'est lui qui avait proposé il y avait déjà quelques années (c'était précisément en 1857 – avant ou après Jésus-Christ, je vous laisse deviner) de se retrouver, au moins une fois dans l'année. Parce qu'il faut bien dire les choses comme elles sont : en temps ordinaire, ces quatre familles ne se voyaient pas beaucoup. Les relations avaient pu varier au fil du temps. Cohabitation paisible ; indifférence partagée ; frottements tendus, par exemple quand certains membres de la famille de l'un l'avaient quittée pour se plaire avec les membres de la famille de l'autre ...
Mais pour parler honnêtement, il y avait entre eux je crois une grande méconnaissance réciproque. Quelques-uns, et dans chacune des familles, n'auraient pas osé l'avouer, mais ils avaient longtemps cru qu'ils étaient tout seuls dans le village. Ils ne savaient pas qu'il y avait d'autres habitants. Soit qu'on ne leur avait pas dit. Soit qu'ils préféraient ne pas savoir (et je ne sais pas s'il serait toujours juste de leur en faire vraiment le reproche). Soit qu'ils étaient tombés dans leur famille quand ils étaient petits, et qu'ils n'avaient jamais éprouvé d'intérêt ou de besoin de regarder à l'extérieur (quand on est bien chez soi... ! !).
D'autres savaient. Et parmi eux, certains regrettaient la distance, même s'ils y étaient habitués. Mais pour d'autres, il y avait beaucoup de bonnes raisons de ne pas trop se voir. En leur for intérieur, ils pensaient qu'ils étaient eux les vrais Gaulois, plus que les autres. Et quand ils rencontraient les autres dans la rue (les autres qui, entre parenthèses, pensaient exactement la même chose), qu'ils se parlaient, il leur arrivait en effet de se crêper un peu le chignon.
• « Nous », disaient parfois Pentecôtix et Charismatix (c'était nos deux premiers personnages, deux qui d’ailleurs n'étaient pas toujours d'accord entre eux sur tout), « nous, nous avons le Souffle Divin ; Il nous équipe pour le combat ; nous, nous en jouissons » (un peu comme d'autres connaissaient seuls la recette d'une certaine potion ?).
• « Nous », répondait Protestantévangélix (le troisième personnage), « nous, nous avons le Souffle Divin ; il nous donne le discernement, et nous ne confondons pas nos exubérances avec Sa présence ».
• Baptix (le dernier personnage) était plus énigmatique, et on l'avait vu dans d'autres régions se ranger tantôt d'un côté, tantôt de l'autre ...
« Nous », disaient les uns, « nous avons un culte familial recueilli, ordonné. Dieu est un Dieu d'ordre ». « Nous », disaient les autres, « nous avons un culte familial vivant, une louange vivante. Dieu est le Dieu vivant ». Etc., etc.
Disons donc pour résumer qu'ils avaient parfois un petit peu de mal à communiquer. Et c'est vrai qu'il n'était pas si simple de préciser dans leur regard les uns sur les autres quelle part :
simplement de préjugés, d'incompréhension il pouvait y avoir ;
quelle part de vérité, de lucidité ;
quelle part simplement de peur et de crainte.
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