Croire, le droit et la réalité

Complet Réflexion

Questions à Nancy Lefèvre, Directrice du service juridique du CNEF.

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Se forger une opinion ou une conviction personnelle est intimement lié à notre nature humaine. Nous sommes en effet des êtres pensants qui ne sont pas uniquement conduits par l’instinct, mais capables de penser, de réfléchir et d’envisager la transcendance.
C’est en réaction aux horreurs des totalitarismes de la Seconde Guerre mondiale que de grands textes internationaux et européens ont été négociés et adoptés à partir de 1945. Pour établir une paix durable, il fallait renforcer la protection des individus face aux États.

LE DROIT

Comment définir le « droit de croire » ?

Croyance Personne ne peut empêcher quelqu’un de croire ce qu’il veut. Par contre, l’expression de ce que l’on croit peut se heurter à d’autres intérêts : celui de la liberté des autres, de la sécurité, de la santé publique ou de l’ordre public. La liberté peut donc comporter des limites quand il s’agit d’extérioriser sa croyance. Toutefois, les restrictions à cette liberté de manifester ses convictions ne peuvent être posées que dans un cadre précis et non arbitrairement. La société doit pouvoir continuer à être vraiment démocratique et pluraliste.

Sur le plan international*

Le « droit de croire » est consacré par les textes de l’ONU, qui établissent le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, notamment dans la Déclaration universelle de droits de l’homme (1948), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) et dans la Convention internationale des droits de l’enfant (1989).

Déclaration universelle des droits de l’homme
ONU, 10 déc. 1948 (article 18)
« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. »

*Tout comme la France, la Belgique est signataire de ces textes et les intègre dans son propre ordre juridique national.

Au niveau européen

Les textes de la Convention européenne et de l’Union européenne garantissent clairement ces mêmes droits.

Convention européenne des droits de l’homme
Conseil de l’Europe, 4 nov. 1950
Art. 9 : Liberté de pensée, de conscience et de religion
« 1-Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2-La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

En France

La liberté de pensée, de conscience et de religion existait déjà au travers de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1789 et de la loi du 9 décembre 1905 portant séparation des Églises et de l’État, toutes deux mettant à distance l’État de toute restriction non justifiée de la liberté religieuse individuelle ou de celle des structures religieuses.
En 1946, le Préambule de la Constitution de la IVe République réaffirme ce cadre et l’article 1er de la Constitution de la Ve République en 1958 insiste encore sur le principe de non-discrimination religieuse et de respect de toutes les croyances.

Constitution de la république française
4 oct. 1958 (article 1er)
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

LA RÉALITÉ VÉCUE

Dans le monde

Dans bien des États où les croyants sont persécutés, l’État utilise des lois, des règlements ou des pratiques administratives pour interdire, encadrer ou limiter la manifestation des croyances, à titre individuel ou collectif en prétextant, par exemple, des motifs de sécurité nationale, d’ordre public ou de protection des libertés des personnes.
Il arrive aussi que les autorités légitiment ou ferment les yeux sur des pratiques ouvertement ou indirectement discriminatoires pour l’accès à l’emploi ou à des services de base. Des actes de haine ou de violence envers certaines communautés religieuses sont encouragés.
Ces politiques publiques clairement antireligieuses ne respectent pas le droit international. Il est pourtant difficile de faire changer la situation, soit par la voie contentieuse, soit par la voie du plaidoyer. Mais il faut persévérer et soutenir ceux dont les droits légitimes sont refusés.

Quelques exemples de persécution
> des lois anti-conversion ou anti-blasphème en Inde ou dans certains pays musulmans,
> la réglementation des cultes et de l’utilisation de l’intelligence artificielle pour identifier les croyants en Chine,
> des normes excessives pour ouvrir un lieu de culte ou pour enregistrer les associations religieuses en Europe centrale.

Dans nos démocraties occidentales

Le niveau de liberté est globalement le plus élevé au monde, mais il faut reconnaître qu’il est en baisse. La moindre présence des religions dans la société civile a ostracisé la manifestation de la conviction religieuse, en la considérant comme une exception et non comme la norme d’une société démocratique et pluraliste en bonne santé. Ainsi faut-il rappeler que le droit de croire et de partager sa foi est premier et que sa limite est seconde.
En France, une mauvaise conception de la laïcité s’installe. La neutralité religieuse de l’État a tendance à être étendue à la société civile dans le but de cantonner l’expression religieuse à la sphère privée. Le contrôle des structures religieuses a aussi été renforcé, entamant progressivement la séparation des cultes et de l’État.

LA LIBERTÉ DE RELIGION
1 Protège les individus
Ce sont les personnes qu’elle protège en leur permettant de croire, mais aussi de ne pas croire, ou de changer de religion. Elle ne vient pas en soutien des religions, mais elle garantit que chacun puisse avoir un libre choix de ses croyances.
2 Permet d’exprimer publiquement ses croyances
Contrairement à ceux qui pensent que la religion doit se vivre dans la sphère privée, la liberté de religion autorise une manifestation publique des rites, des pratiques et des cérémonies et garantit ainsi une société plurielle.
Elle permet aussi que les gens puissent échanger respectueusement des points de vue religieux, même dans la rue et avec des personnes d’autres religions ou sans religion.
3 Est la « matrice de tous les droits de l’homme »
La liberté de pensée, de conscience et de religion est tout sauf une menace pour les libertés individuelles, car, sans elle, il n’y a pas de liberté d’expression, d’association, de liberté de se marier, d’éduquer ses enfants…

QUEL AVENIR ?

75 ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme, les équilibres géopolitiques sont renouvelés et les totalitarismes reviennent sur le devant de la scène, avec le danger d’éteindre le pacte des États autour des libertés individuelles.
La démocratie se mesure à la manière dont les États traitent les minorités, notamment religieuses. Il faut donc rester en action et en éveil pour préserver la liberté de pensée, de conscience et de religion, bien commun si précieux pour l’humanité.

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